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milieu de ses anciens élèves[1] ; c’était blesser au plus profond de son cœur, c’était presque tuer de sa main le malheureux vieillard, déjà presque octogénaire.

Quel fut toutefois l’effet produit dans le moment par les violences de Napoléon sur ce digne ecclésiastique, si modéré dans ses doctrines, si sage dans sa conduite, si conciliant, si porté à user d’égards et peut-être faudrait-il dire d’une certaine complaisance envers les pouvoirs établis ? Ainsi que Pie VII l’avait fait en 1800, alors qu’en parlant à M. Cacault des exigences du premier consul relativement au concordat il vantait au ministre de France la manière paisible et régulière dont les affaires religieuses se traitaient dans les pays de liberté, même hérétiques, comme Pie VII devait le faire plus tard encore à Savone pendant les terribles orages du concile de 1811, l’abbé Émery tourna alors ses regards désolés du côté des États-Unis, « Hélas ! écrivait-il à son plus intime ami, le directeur du séminaire des sulpiciens à Baltimore, il faut regarder comme possible, d’après les bouleversemens qui se sont déjà faits et qui se préparent, qu’il ne puisse plus y avoir bientôt de sociétés de sulpiciens en France, et que la chose et le nom ne subsistent plus qu’en Amérique… Il ne peut être question pour moi de m’y transporter, mon âge ne me le permet pas ; mais je vous préviens que, dans le cas où ce que je crains arriverait, plusieurs des nôtres se transporteraient où vous êtes, et je prendrais des mesures pour que tout notre avoir et tout ce que nous possédons de plus précieux puisse les y suivre[2]. »

Ainsi de 1800 à 1810, pendant cette période de dix années que nous avons déjà fait passer presque entière sous les yeux de nos lecteurs, les choses avaient été conduites de telle façon par l’empereur, qu’un prêtre, qui avait applaudi de tout son cœur à l’œuvre du concordat, un savant théologien tout gallican dans ses tendances, le directeur spirituel du cardinal Fesch, l’oracle modeste, mais pendant toute sa vie religieusement écouté de l’église entière de France, qui d’ailleurs n’avait jamais prêché que la prudence, la conciliation et toute la déférence possible à l’égard du souverain maître de la France, n’entrevoyait plus de refuge contre son pouvoir de plus en plus exorbitant et ses violences toujours croissantes que de l’autre côté des profondeurs de l’Atlantique.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Lettre de M. l’abbé Émery à M. l’abbé Nageot, — Matériaux manuscrits pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  2. Ibid., 12 mars 1810. — Matériaux manuscrits pour la vie de l’abbé Émery.