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Rawlinson, le docteur Hincks, M. Oppert, sont allés plus avant, jusqu’au cœur de la place. Le système graphique des bords du Tigre et de l’Euphrate leur a livré sa clé. On lit aujourd’hui couramment et d’après des principes certains ces annales gravées sur le marbre, gazettes lapidaires où les rois font eux-mêmes le récit de leur règne, de leurs exploits, de leurs conquêtes et même aussi de leurs cruautés. De ces documens officiels ressortent pour la critique des élémens absolument nouveaux, et par exemple certains événemens dont nous parle la Bible dans le livre des Rois, vous les retrouvez là racontés à l’assyrienne, d’un point de vue tout différent, ce qui n’empêche, pas que, si la véracité de la sainte écriture avait besoin d’être attestée, ces deux récits mis en regard en seraient la confirmation la plus sûre et la plus éclatante.

C’est donc une conquête inestimable avant tout pour l’histoire, l’histoire des faits, que cette révélation de la civilisation assyrienne, et pour l’histoire de l’art encore plus hors de prix. Il y a là un problème, l’origine de l’art grec, énigme impénétrable, qui tout à coup s’est trouvé résolu. Chercher cette origine sur le sol égyptien, c’était perdre sa peine, tandis qu’en Assyrie la source saute aux yeux. C’est bien de là qu’est sorti ce grand art, la filiation est manifeste. Ces sculptures de Ninive n’ont pas encore reçu le rhythme délicat, les proportions et la juste mesure que le génie grec leur prépare ; mais en dépit de la part faite aux dogmes, et à côté des moins humaines hyperboles, des plus monstrueux accouplemens, c’est déjà le même coup de ciseau, le même don d’observation, la même sûreté, la même finesse dans l’expression des détails de la vie. Vous la suivez, cette influence assyrienne, descendant par l’Asie-Mineure de proche en proche jusqu’au littoral, s’établissant parmi les tribus helléniques répandues sur la côte, gagnant les îles, puis la Grèce elle-même, et quand les colons lydiens, poussés de plus en plus vers l’extrême Occident, abordent en Italie, c’est encore cette même influence, c’est l’école des sculpteurs assyriens qui au pied de l’Apennin engendré l’art étrusque, c’est elle seule qui permet de comprendre ce style inexplicable, à la fois lourd et subtil, charmant et grossier, mélange indéfinissable de rudesses alpestres et de mollesses asiatiques.

Et ce n’est pas assez que ces deux grands foyers du génie humain primitif, les deux plus vieux empires du monde, se soient ainsi ouverts à nous et que nos yeux y plongent jusqu’au fond ; dans tout le reste de l’antique Orient, nous avons eu presque la même chance. Depuis les bords du Gange et l’immense famille indienne dont l’étude des Védas a renouvelé l’histoire, depuis les Mèdes et les Perses, ces autres grands essaims de la ruche aryenne, jusqu’à des groupes moins puissans, bien que d’un caractère non