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s’est relevé et a reconstruit l’édifice d’une nouvelle civilisation. De la VIe à la XIe dynastie, laps de temps considérable, l’éclipsé semble totale, l’Égypte n’existe plus, elle est comme rayée du rang des nations, et, quand elle se réveille, c’est sur de nouveaux frais, presque sans traditions, qu’il lui faut reprendre sa marche et renaître à la vie. Sous la XIIe dynastie, elle semble atteindre l’apogée de sa splendeur, et dès la XIIIe elle retombe : mêmes désastres, mêmes dévastations. Les pasteurs frappent de mort la contrée ; puis peu à peu, au contact des vaincus, ils se civilisent à leur tour, et, après mille péripéties, avec la XVIIIe dynastie, recommence une ère nouvelle d’éclat et de prospérité, la plus célèbre époque de l’Égypte. Seulement ces deux grandes renaissances, désignées aujourd’hui par ces noms de moyen et de nouvel empire, tandis que par ancien empire on indique la civilisation primitive, ont cela de particulier que les sculptures qui en proviennent, bien que plus raffinées et plus savantes peut-être, sont moins souples, moins vraies, moins conformes à la nature, moins librement conçues et exécutées que celles de l’époque antérieure. Elles trahissent une influence sacerdotale plus souveraine et plus dominatrice. Évidemment c’est par les prêtres, par les castes religieuses que pendant les temps de ténèbres le feu sacré se sera conservé, et, en ressuscitant leur patrie, les prêtres chaque fois auront pris plus de précautions pour fonder leur pouvoir sur une obéissance plus aveugle et plus absolue. Aussi tandis qu’en général, chez tous les peuples dont il nous reste des vestiges, il faut remonter aux premiers siècles pour que l’art, affublé de liens hiératiques, contracte cette raideur, cette immobilité, cette déformation conventionnelles dont il ne s’affranchit plus tard qu’au moment de passer à la liberté, ici c’est le contraire : la liberté, la vie, le simple, le naturel, apparaissent au début, ou tout au moins dès les temps les plus reculés dont on conserve la mémoire, et c’est après de longs siècles que la bizarrerie, la convention et l’immobilité s’établissent despotiquement.

Sans l’irrécusable témoignage des inscriptions hiéroglyphiques, aurait-on jamais soupçonné un tel renversement des lois les plus constantes et les plus universelles ? Cette figure accroupie ; ce sténographe en action, saisissant comme au vol de son pénétrant regard et traduisant du même coup sur ses tablettes les paroles qu’il entend dire, cette ravissante sculpture, un des trésors les plus exquis de notre musée du Louvre est donc l’œuvre d’un art primitif et de deux mille ans peut-être plus ancienne que ces géants de basalte, ces personnages fantastiques, monstrueux, pétrifiés, que vous voyez à quelques pas plus loin ! S’il n’existait qu’un seul