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ment affecté quand on voit, dans toutes les affaires où la religion se trouve incidemment mêlée, l’empereur en venir si vite aux mesures de rigueur, et recourir si résolument à la persécution comme à son arme naturelle. Dans son différend avec les cardinaux italiens à propos de l’annulation de son premier mariage religieux, il n’y avait pas, comme dans sa querelle avec le pape, de question de souveraineté territoriale engagée. Ce n’était point là affaire de prince à prince ; mais il s’agissait d’un intérêt politique très considérable et de l’avenir même de sa dynastie. Dès lors, toute autre considération mise de côté, les sévices commencent de sa part, et rien ne l’arrêtera plus. Comme naguère il faisait un pape prisonnier, il donne maintenant leur démission à des évêques et dépouille des cardinaux de leur pourpre ; il fera plus : il frappera également les simples prêtres et parmi eux, dans son œuvre la plus chère, le plus vénérable d’eux tous, celui-Là même que tout à l’heure il exaltait si fort, l’abbé Emery, à qui, suivant ses confidences au comte Molé, il aurait été peu de temps auparavant si heureux de confier le sort des générations à venir. Qu’avait donc fait l’abbé Émery, et quel était son crime ? Il n’en avait commis aucun ; mais son malheur avait voulu que le cardinal della Somaglia l’eût consulté pour savoir s’il devait assister au mariage religieux de l’empereur. « Je n’aurais point d’objection à m’y rendre, si mon rang m’y appelait, avait répondu le sage et consciencieux théologien, puisque je crois valable l’annulation du premier mariage ; mais, si dans le for de votre conscience vous avez une opinion contraire, peut-être ferez-vous mieux de n’y aller pas, car la conscience oblige. » Voilà dans toute sa noirceur la faute de l’abbé Émery, et le cardinal della Somaglia, sommé par lui, attesta par écrit qu’il ne lui avait pas donné un autre conseil, ni prononcé une parole de plus ; mais cela était trop encore. Il fallait punir l’abbé Émery. Après avoir détruit toutes les congrégations d’oratoriens, de lazaristes, de pères de la doctrine, l’empereur était maintenant résolu à dissoudre les sulpiciens[1]. « Ce sont des gens qui s’attachent à des minuties, » s’était écrié l’empereur[2], et l’ordre fut donné à M. l’abbé Émery de quitter son séminaire, de n’avoir plus de rapports avec les membres de son ordre. Défense même lui fut faite de paraître désormais au

  1. « Il convient que le séminaire de Saint-Sulpice change tout à fait de main et de nature à dater d’après-demain… Le ministre des cultes fera connaître dans la journée de demain les intentions de l’empereur aux grands vicaires de Paris et à M. Émery. (Palais de Saint-Cloud, 13 juin 1810.) » — Cette note, dont copie est déposée au secrétariat de l’archevêché de Paris, n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  2. Vie de l’abbé Émery, t. II, p. 257.