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types, leurs physionomies et leurs costumes. La scène est ingénieusement composée à la Meissonier. Quelques détails laissent à dire. Par exemple, on ne s’explique pas comment la vigne vierge qui perd ses feuilles a jonché le dessous de la table et des chaises, aussi bien que l’espace découvert ; mais le tableau est un morceau de valeur, et nous l’estimerions encore davantage, si l’artiste renonçait à cette coloration verdâtre qui semble enfermer ses sujets dans un aquarium. Même défaut à relever dans le gentil petit tableau de la Retraite, sans compter les erreurs de dessin, qui sont encore plus graves. Une caisse de tambour devrait être un cylindre ; M. Tissot a le tort d’en faire un cône tronqué. M. Albert Devriendt, compatriote de M. Leys, persiste dans les erremens auxquels M. Tissot a renoncé. Il nous peint la Vieillesse de la Vierge en plein moyen âge flamand. A quel propos ? dans quel intérêt ? Il y a deux partis à prendre dans un sujet de cette nature : ou chercher la vérité historique, reproduire les mœurs, les costumes, les types du pays et du siècle, ce qui n’est pas difficile par le temps d’archéologie où nous vivons, ou suivre l’exemple des primitifs, qui habillaient les anciens à leur mode, parce qu’ils ne pouvaient faire mieux. M. Devriendt a compris qu’il se ferait moquer par ses contemporains, s’il représentait la vierge Marie en vieille bourgeoise de 1868, et saint Luc en notaire cravaté de blanc ; mais croit-il échapper au ridicule lorsqu’il reporte à trois ou quatre cents ans cet anachronisme volontaire ? A quoi bon se donner tout le tracas d’une recherche minutieuse pour obtenir un résultat que l’on sait faux de tout point ?

Les limites de cette étude ne me permettent pas de m’étendre sur la production annuelle des artistes arrivés, qui ont donné leur mesure et qui s’y tiennent, comme M. Toulmouche, M. Saintin, M. Protais, M. L.-E. Lambert, e tutti quanti, gens de goût, hommes de talent, mais toujours égaux à eux-mêmes, quoiqu’ils ne se copient jamais. M. Mouchot, jeune peintre orientaliste d’un grand avenir, continue sa marche ascendante. On peut en dire autant de M. Legros, qui traite les sujets de demi-caractère religieux avec une gravité pleine de finesse. M. Viger, toujours spirituel et toujours érudit, continue à dessiner d’un trait juste, un peu dur, les petites fêtes intimes du directoire. Il vit dans ce temps singulier où Mme Récamier dansait la gavotte au son du cor et du clavecin ; il fréquente les héros en pantalon collant et les demi-déesses en tunique transparente. Son faire minutieux, sa couleur aigrelette, accentuent la saveur étrange de ces antiquités d’hier, dont les derniers témoins ne sont pas morts. M. Heilbuth, qui allait être nommé caricaturiste en titre du sacré-collège, a tout à coup changé de genre, et mal lui en a pris. Son tableau de Job est une piètre