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désarme le public souvent ennuyé de nos expositions, il fait excuser les plus énormes défauts de l’artiste par des juges qui ont ri ; mais songez qu’un tableau est destiné à faire séjour dans quelque galerie, mettez-vous à la place de l’amateur qui serait condamné à s’amuser dix ans d’une drôlerie même excellente, il en mourrait. Une pointe d’humour est permise dans la peinture à l’huile, pourvu qu’elle soit l’accessoire et non le principal de l’œuvre ; il faut la racheter par un monde de qualités sérieuses. Les peintres qui réussissent par l’esprit arrivent vite à penser, comme M. Biard, que l’art n’exige rien de plus, et ils tombent vous savez où. Je ne dis pas cela pour M. Jundt, qui tient son sérieux cette fois, contre l’ordinaire. Il a fait deux aimables compositions ; mais ses tableaux sont trop grands pour ce qu’ils montrent. Lorsqu’on traite le genre dans les mêmes proportions que M. Jules Breton, il faut avoir le beau dessin et la riche couleur de M. Breton dans sa Récolte des pommes de terre. Les tableaux de M. Jundt, qu’on dirait peints sur guipure, sont baignés dans une brume qui dissimule, mais seulement à moitié, l’insuffisance du dessin.

L’Atelier de M. Brandon, trop grand aussi, nous rappelle de loin, de très loin, une des compositions les plus françaises d’Horace Vernet. C’est une toile intéressante, mais peinte un peu par-dessous jambe. Les figures y sont touchées plutôt que dessinées ; un artiste du bon vieux temps reprendrait cette esquisse et en ferait un joli tableau. La Part du Capitaine atteste un progrès continu chez cet homme de goût, ce délicat et ce lettré qui s’appelle M. de Beaumont. L’Effet de neige de M. Chenu est l’œuvre consciencieuse et déjà forte d’un jeune homme qui promet beaucoup. Il y a un notable avancement dans la toile que M. Gaume intitule spirituellement Au Salon, M. Gaume avait exposé l’année dernière un grand tableau intéressant par mille qualités naïves, mais presque aussi remarquable par ses défauts. Il nous montre aujourd’hui trois promeneuses du Salon, arrêtées devant sa première œuvre, et il ajoute : Souvenir de 1867. Rien de plus ingénieux, ce me semble, que cette façon de prouver qu’on a gagné dix ans d’expérience en moins d’un an. Le tableau de l’année dernière était d’un écolier ; quelques parties de celui-ci, notamment la tête et le buste de femme, sont d’un artiste.

Quatre autres débutans, ou peu s’en faut, MM. Roybet, Jacquet, Regamey et Clairin, méritent un moment d’attention. M. Roybet a débuté en 1866 par un coup d’éclat ; je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir son fou menant deux dogues en laisse. La figure était belle, d’un dessin très suffisant et d’une couleur éclatante. Il n’y eut qu’une voix dans le public pour acclamer M. Roybet. L’année