Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/735

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regrette point d’avoir accompagnées une ou deux fois jusqu’à leur porte vers l’heureux âge de vingt-cinq ans. M. Charles Marchal a fait preuve d’un goût parfait et d’une rare mesure. Ses deux figures disent exactement ce qu’elles ont à dire, rien de moins, rien de plus. La femme de bien n’est pas prude, la Phryné, — comme aurait dit M. Prudhomme — n’est point effrontée. Le seul délit de provocation qu’on puisse mettre à sa charge est commis par son bas de soie et son petit soulier. L’exécution de ces deux tableaux est vraiment supérieure ; ils ne valent pas seulement par l’esprit, par la finesse d’observation, par un vif sentiment du pittoresque moderne et parisien, que M. Marchal partage avec MM. Alfred Stevens et Toulmouche. On sent, derrière les qualités agréables, la forte gymnastique de l’école et les études de l’atelier Drolling, où l’on n’improvisait pas la peinture.

Le Retour du mari, par M. Victor Giraud, obtient un grand succès, et je suis d’avis qu’il le mérite. L’habileté du jeune peintre est à la hauteur de son audace. Il a fait un tableau dramatique, vivant, qui s’explique sans commentaire et produit son maximum d’effet à la première vue. Ne dédaignons pas l’action, elle a son importance en peinture, et celui qui n’est pas capable de traduire les mouvemens énergiques du corps humain ne sera jamais qu’un demi-maître. Les trois personnages du tableau sont justes de tout point et dans leur rôle, le mari qui tue, l’amant qui tombe et la femme qui s’évanouit. Tout cela est suffisamment dessiné, et peint avec une expérience précoce : il y a certain velours bleu !… mais pourquoi délayer une scène de la vie privée sur une toile de cette grandeur ? A quelle échelle M. Giraud peindra-t-il le nu, s’il donne au genre les proportions de l’histoire ? Dix centimètres carrés de velours bleu suffisent à démontrer que vous savez faire le velours bleu ; la pièce entière, s’il vous plaît de la copier, ne nous en apprendra pas davantage. Les peintres dramatiques du XVIIIe siècle, à qui vous empruntez la physionomie trop farouche de ce mari et ses yeux hors de la tête, ne jouaient pas le drame intime sur un si grand théâtre ; ils ménageaient la toile et faisaient bien. Le Mariage in extremis de M. Firmin Girard est-il moins regardé et moins loué parce qu’il se réduit à la dimension la plus modeste ? Au contraire, ce petit drame touchant, discret, qui joint à ses mérites très réels le piquant du mystère, paraîtrait fourvoyé dans un grand cadre scandaleux.

Le Satyre de M. Delort, le Baptême de sauvages aux îles Canaries par M. Leloir, la Sérénade de M. James Bertrand, la Lecture de la Bible par M. Brion, les Lapons de M. Bource, les Idylles de M. Lévy sont dans la juste dimension qui convient à ce genre