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de la vie privée sont à leur place dans un petit cadre, comme les vaudevilles sur la scène du Palais-Royal. Les paysagistes eux-mêmes prenaient le temps de la réflexion avant d’attaquer une toile petite ou grande ; ils savaient qu’un coin de buisson, une meule de paille, une charretée de pommes de terre, ne doivent pas affecter l’importance d’une composition du Lorrain. Nous avons changé tout cela : paysagistes, animaliers, peintres de genre, ont agrandi leurs toiles à qui mieux mieux, enchérissant l’un sur l’autre, comme les directeurs de théâtre exagèrent la superficie de leurs affiches pour forcer l’attention du public. L’illustre champ de la peinture d’histoire est envahi par des messieurs en paletot, des dames à chignon, des mendians en guenilles. Un grand âne s’étale en pied dans un cadre où Jules Romain ferait piaffer tout le quadrige d’Apollon ; un carré de choux prend plus de place que Nicolas Poussin n’en accordait à la ville et à la campagne d’Athènes. C’est le monde renversé ; mais citez-moi donc un artiste qui, pour faire son chemin, ne renverserait pas plusieurs mondes !

Les peintres arrivés changent de note. Ils font des tableaux d’histoire que vous emporteriez sous le bras. Leur clientèle le veut ainsi : les expropriations, les déménagemens, l’avenir incertain, les appartemens de moins en moins vastes, réclament la fabrication de chefs-d’œuvre concentrés, portatifs, d’une grande valeur sous un petit volume : on demande des diamans signés Meissonier ou Gérôme. Un très petit nombre de riches (faut-il admirer leur courage bu censurer leur imprudence ?) font couvrir de peintures décoratives les murs et les plafonds de leurs hôtels. Les palais et les églises, évidemment plus stables que les propriétés privées, s’embellissent de quelques panneaux à l’huile ou à la cire. Est-ce à dire que le grand art de la décoration soit à la veille de ressusciter chez nous ? J’en doute. Nous avons désappris la fresque, où Mignard excellait encore il y a deux cents ans, et ce n’est pas la vue de cinq ou six placards attribués à Luini qui en rendra le goût à nos artistes. L’art chrétien, qui vivait encore avec la foi chrétienne dans la belle âme de Flandrin, sèche sur pied comme un arbre sans racines. L’art païen, le plus noble et le plus décoratif de tous, n’est plus représenté que par quelques artistes hésitans et timides. Rien n’égale la pauvreté du dernier grand ouvrage que l’administration nous a fait voir au Louvre. C’est un plafond de M. Matout qui semble découpé pièce à pièce dans les maîtres italiens et recollé comme un travail de potichomanie. On assure que l’inauguration du nouvel Opéra doit révéler à la France deux décorateurs de premier ordre, M. Baudry d’abord et après lui M. Lenepveu. J’ai de bonnes raisons pour croire à la véracité de cet on-dit ; mais l’inauguration du