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à sa suite une vingtaine d’imitateurs serviles, si M. Manet lui-même, ayant fait scandale, fait école, ce n’est ni M. le préfet de la Seine ni les autres détenteurs d’un pouvoir absolu qui ont le droit de jeter la pierre aux artistes. Je m’arrête, non que j’aie tout dit, mais parce que je finirais par en trop dire, et j’aborde le Salon de 1868.

Pourquoi salon ? Cela se dit par un vieux restant d’habitude, en souvenir du temps où l’Académie de peinture exposait dans le salon d’un palais, pour un public d’élite, quelques ouvrages choisis. Aujourd’hui, dans le coin d’une bâtisse à plusieurs fins, qui n’est ni une serre ni une halle, mais qui participe des deux, on improvise une exhibition simultanée des beaux-arts et des beaux légumes, entre un concours de chevaux carrossiers et une exposition des fromages sans doute. Le dernier break des maquignons s’est croisé avec la première tapissière des peintres. Plus d’un tableau verni in extremis a pu encore saisir au vol la noble poussière des chars. Les statues de marbre coudoient les arrosoirs perfectionnés ; on voit circuler pêle-mêle dans les plates-bandes du jardin les sculpteurs et les champignonistes. Les champignonistes ne m’ont pas dit ce qu’ils pensaient de la combinaison, mais les sculpteurs en sont fort aises. Pensez donc que ces pauvres gens, — les sculpteurs, — ont exposé deux ans de suite dans une sorte de cave où le champignon croissait sans culture ! On s’arrange, on s’installe, on partage le terrain, on se promet de faire bon ménage jusqu’au 1er juillet, date fatale, dernier délai, car-les fromages sont attendus à jour fixe, et vous savez qu’ils n’attendent pas.


II

Nous ne sommes, pas tout à fait des vieillards, et pourtant nous avons vu le temps où les peintres se classaient encore par écoles. Aujourd’hui une exposition ressemble à une symphonie fantastique où tous les exécutans jouent à la fois chacun son air. Nous n’avons pas mérité la médaille de Sainte-Hélène, et cependant nous nous souvenons qu’autrefois, dans notre jeunesse, vers 1847, la mesure d’un tableau n’était pas chose arbitraire. Il semblait admis en principe que les grandes toiles sont réservées aux grands sujets, les moyennes aux moyens et les petites aux petits. La décoration, l’histoire, le genre, le paysage, se conformaient à cette loi. Le goût public, — il y avait alors un goût public, — aurait jugé sévèrement un tableau de genre agrandi jusqu’aux proportions de l’histoire. En revanche, un tableau d’histoire réduit aux humbles dimensions du genre aurait reçu le nom d’esquisse terminée. On pensait que le nu mérite d’être peint en grandeur naturelle, mais que les scènes