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LE
SALON DE 1868


I

Pour un certain nombre d’esprits, qui ne sont pas les moindres entre nous, le printemps ramène un vieux problème toujours nouveau parce qu’il n’est jamais résolu. Les plus honnêtes gens et les meilleurs citoyens, — car il en reste, — éprouvent un sentiment voisin de l’angoisse chaque fois que l’autorité les convie à une exposition des beaux-arts. Où le vulgaire ne voit qu’un spectacle à lorgner, quelques-uns trouvent l’occasion solennelle et obligatoire de dresser un bilan, de voir où nous en sommes, de comparer les pertes et les recrues de l’année, de constater le progrès ou la décadence de l’art français. C’est à ce public limité, mais d’autant plus considérable, que s’adresse la Revue. Nous n’avons pas la prétention de discuter, ou de décrire, ou même d’énumérer toutes les œuvres passables que la France a produites dans l’espace d’un an ; notre but est de déterminer la direction et de mesurer la vitesse des courans qui emportent l’art national vers le mieux ou vers le pire. Ainsi faisait l’illustre et regretté Gustave Planche ; nous conserverons de notre mieux la tradition de cette philosophie, que M. Henri Delaborde et M. Maxime Du Camp ont pratiquée après le maître avec un remarquable talent. Celui qui a l’honneur de succéder à ces juges n’est pas nouveau dans la critique d’art ; il s’efforcera de prouver qu’il n’y est plus jeune, et qu’il peut apprécier ses contemporains avec indépendance et modération, sans engouement ni camaraderie, mais sans cette âpreté qui distingue les fruits verts de l’esprit humain.