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assez peu considérable, surtout depuis qu’il existe une classe officielle de fonctionnaires spécialement chargés de surprendre la trace des malfaiteurs. Cette organisation, qui ne date que de quelques années, a pour centre Scotland-Yard ; son personnel se compose de l’inspecteur en chef (chief inspecter), de 3 inspecteurs et de 15 sergens, recevant tous leurs instructions directes de sir Richard Mayne. Le nom qu’on donne en ce cas aux agens indicateurs est celui de detectives, et un tel nom exprime bien le caractère de leurs devoirs, qui consistent à découvrir les auteurs d’une offense commise. Pour que la police anglaise cherche un coupable, il faut qu’il y ait un corps de délit et le plus souvent une plainte déposée par la victime. Ces detectives ne sont après tout que des constables déguisés. On les choisit en effet parmi les agens de la force publique dont l’esprit est aiguisé, le coup d’œil juste, et qui témoignent du goût pour ce genre de service secret.

Il y a quelques années, des voleurs s’étaient introduits pendant la nuit dans la cour de la maison que j’habitais. Je fis le matin ma déclaration au bureau de police, non certes à cause de la valeur des objets dérobés, mais parce que je désirais connaître la manière dont procédait en pareil cas le système anglais. Le lendemain, je reçus la visite d’un homme en habits ordinaires qui s’annonça comme un émissaire de l’administration ; c’était en effet un detective. En peu de mots, il m’invita à sortir avec lui ; on avait déjà fait des recherches minutieuses, tout aussi bien que s’il se fût agi d’une fortune perdue, et il y avait lieu de croire qu’une partie du butin avait été vendue par les maraudeurs à des marchands de Deptford. Ce fut en effet la ville ou, si l’on veut, le faubourg de Londres vers lequel nous nous dirigeâmes. Chemin faisant, j’eus plus d’une occasion d’apprécier l’intelligence, la finesse et la science pratique de mon guide. Il lisait à travers les murs dans l’intérieur de certaines maisons mal famées, et me donna sur la vie dans les low lodging houses (logemens garnis du dernier ordre) des détails de mœurs qu’eussent enviés certains romanciers anglais. Toutes les figures suspectes lui étaient bien connues. « Ce jeune homme qui vient de passer, me dit-il, est un fils de bonne famille ; mais il s’est lié depuis quelque temps avec de mauvais sujets, et il y a tout lieu de craindre qu’il ne tombe un jour ou l’autre entre nos mains. — Cet autre en veste bleue qui rôde autour de la boutique d’un horloger n’est pas là pour de bons desseins ; il lui tarde de lire l’heure à la montre des autres. — Avez-vous remarqué cette femme à chapeau vert fané ? C’est une receleuse. » Le detective me raconta aussi quelques-uns de ses succès ; il parlait des aventures de police dans lesquelles il avait joué un rôle comme un soldat parle de ses