Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

valeur des héros de Cooper, c’est dans la police qu’il faut les chercher. Ses agens sont en quelque sorte les yeux et les oreilles de la métropole. Seulement, chez le constable, ces aptitudes ne se montrent point innées comme chez le sauvage ; elles s’acquièrent, et c’est à les former que consiste l’éducation professionnelle. Dans les commencemens, les jeunes novices de Scotland-Yard ressemblent à des conscrits. Peu à peu ils contractent dans le service l’habitude d’observer autour d’eux une foule de détails qui échappent à l’attention des autres hommes. Un bon policeman connaît les voies, les mœurs, les tanières de tout individu suspect ; il lit sur la physionomie le secret de plus d’une existence mystérieuse, et rattache un nom à ces figures anonymes qui rôdent nuit et jour dans certains quartiers de Londres ou des environs. Pour lui, les maisons ne sont plus de simples ouvrages de pierre et de brique ; ce sont des personnes confiées à ses soins, qu’il rencontre à chaque instant sur son chemin, dont il interroge d’un œil jaloux les traits extérieurs pour bien s’assurer qu’elles sont en bon état, all is right. Sa perspicacité s’exerce surtout durant les rondes de nuit, et sa vigilance s’étend jusqu’aux constructions désertés et ouvertes à tout venant ; il marque l’entrée d’un signe connu de lui seul et peut ainsi se convaincre que personne ne s’y est introduit durant sa faction ou sa tournée. Trouve-t-il par hasard des volets mal fermés, il réveille et avertit aussitôt les locataires négligens. Il fouille les coins et recoins, essaie chaque clôture pour constater lui-même qu’elle est solide, et met ainsi quelquefois la main sur des malfaiteurs saisis en flagrant délit d’effraction. Que de fois il a compté et recompté sur la route les becs de gaz ! Aussi, même les yeux fermés, sait-il exactement à quel point il en est de son étape de nuit. Une lanterne sourde à la main, on le prendrait de loin pour un somnambule s’avançant en silence à travers la solitude et les ténèbres ; mais c’est en tout cas un somnambule clairvoyant. Quoiqu’il puisse être à demi vaincu par le sommeil durant ces heures froides et lentes qui précèdent les premières blancheurs du matin, son esprit et ses sens ne dorment jamais, tandis que son pas ferme et mesuré met en fuite les voleurs. Le constable à cheval, dont les rondes sont beaucoup plus longues, se trouve encore plus exposé de son côté aux intempéries des saisons, à la bise acre et glacée. Il parcourt en effet durant l’hiver des lanes désertes, des avenues bordées d’arbres sans feuilles, des campagnes ensevelies dans le brouillard et l’obscurité. Il lui faut une certaine force d’âme pour défier les embûches qu’on pourrait lui préparer, et certes son attitude ne trahit aucune crainte ; un air de protection sociale règne au contraire jusque dans les plis calmes et droits de son vaste manteau. Le cheval du