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de tact dans une affaire dont la gravité apparaissait tout entière à la clairvoyance habituelle de Consalvi, car il s’agissait, ce sont ses expressions, de blesser l’empereur à la prunelle même des yeux. Le moyen terme proposé par le conciliant cardinal était d’ailleurs parfaitement acceptable ; mais il y avait longtemps que Napoléon ne voulait plus transiger sur rien. La simple annonce d’une pareille proposition le fit bondir de fureur. « Bah! s’écria-t-il, ils n’oseront jamais. »

Telle fut la seule réponse à l’ouverture de Consalvi. L’ancien ministre d’état et ses collègues étaient cependant résolus à remplir à tout prix ce qu’ils considéraient comme leur devoir. Plusieurs moyens furent, avant le jour de la cérémonie, inutilement employés pour lâcher de les intimider. L’empereur lui-même ne s’y épargna point. Il lui était impossible d’imaginer qu’au degré de fortune et de grandeur où il était maintenant arrivé personne se risquât désormais à lui résister, fût-ce pour des motifs de conscience. Jadis il s’était donné parfois un peu de peine afin de convaincre les dissidens et les amener à ses desseins; combien avait été persuasive alors la séduction de sa brillante parole! mais ces temps étaient passés. Maintenant il ne songeait plus qu’à effrayer. Pour cela, il n’avait même plus besoin de parler, un regard devait suffire. A la réception du dimanche qui précéda de huit jours la célébration du mariage impérial, Consalvi était aux Tuileries aux côtés du cardinal Doria, évêque de Gènes, l’un des partisans les plus dévoués du gouvernement français. L’empereur, à peine entré dans la salle, vint à dessein entretenir le cardinal Doria, et, sans dire un mot à Consalvi, il lui lança un regard terrible avec des yeux vraiment foudroyans. Deux fois de suite il recommença cette scène, tantôt adressant à Doria des paroles pleines d’amabilité et de gaîté, tantôt plaisantant gracieusement avec les cardinaux qui étaient présens, puis retournant se planter devant Consalvi et le regardant, dit ce dernier, de la façon la plus féroce, ferocissimamente Mémoires du cardinal Consalvi, t. Il, p. 195. </ref>. Cela n’ayant pas réussi, ce fut le tour du ministre de la police de tâcher d’agir sur Consalvi; mais il s’y prit d’une manière toute différente. Avant la fin de la réception, Fouché s’approcha du cardinal Consalvi. « Serait-il vrai, lui dit-il avec un intérêt qui n’avait probablement rien de simulé, serait-il vrai que plusieurs cardinaux pensent à faire la folie ou plutôt à commettre l’énorme attentat de ne point paraître au mariage de l’empereur? » Après quelque hésitation, Consalvi répondit qu’il ne pouvait lui dire ni le nombre ni les noms de ces cardinaux, mais qu’il parlait à l’un d’eux. Fouché se récria. L’empe-