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En somme, le plus important de nos impôts directs, l’impôt foncier, étant protégé par le prétendu principe de la fixité, et les trois autres étant étendus déjà de manière à ne plus conserver beaucoup de leur élasticité, ce ne sera pas de l’accroissement des contributions directes qu’on obtiendra la progression des recettes sur laquelle l’optimisme officiel paraît compter.

Passons aux contributions indirectes. La mine d’or est actuellement l’administration de l’enregistrement et du timbre. La restauration en tirait 182 millions de francs. En 1852, l’empire trouva ce même revenu porté à 272 millions. Les recouvremens de l’année dernière ont atteint le chiffre énorme de 434 millions : nous dirons un peu plus loin à quoi tient ce prodigieux résultat. Faut-il prévoir de nouveaux accroissemens, faut-il les désirer ? La réponse à cette question se trouvera dans la dernière enquête agricole. Les plaintes et les récriminations y éclatent avec un rare ensemble, et, bien qu’elles aient pour interprètes des conseillers d’état, des députés, de grands propriétaires qui s’appliquent à en tempérer l’amertume, elles conservent un remarquable accent de vivacité. Les frais de mutation sont si onéreux, dit un des rapporteurs, « qu’ils constituent non plus un impôt, mais un partage de la propriété elle-même entre l’état et le nouveau possesseur. » On constate d’un autre côté que les droits d’enregistrement, supportables pour la grande propriété, deviennent écrasans pour la petite. Dans les familles riches, dit-on avec amertume, les transactions sur les immeubles sont plus rares parce qu’on y vit plus longtemps, qu’on n’y aliène pas les patrimoines, et qu’on a rarement besoin d’emprunter ; le poids de l’impôt retombe en très grande partie sur les petits propriétaires et les gens nécessiteux, bien plus exposés que les autres à faire les actes qui entraînent l’application des droits. Et puis la combinaison des frais est progressive en raison inverse de l’aisance des contribuables, les droits fixes devenant de plus en plus onéreux à mesure qu’ils portent sur un capital plus faible. Pour un domaine d’une certaine valeur, l’ensemble des frais n’excédera pas 10 pour 100 ; mais s’agit-il d’exproprier une masure de 500 francs ou de dépecer un lambeau de terre entre plusieurs héritiers, les frais dépasseront le prix obtenu par la vente. Voilà ce qu’on lit dans les témoignages de l’enquête agricole, et ce n’est pas sous le règne du suffrage universel qu’on verra augmenter beaucoup un impôt décrié par des millions d’électeurs.

Observons maintenant notre système fiscal dans son application aux choses de consommation usuelle : c’est là surtout qu’il manque d’élasticité. En Angleterre, les douanes produisent cinq fois plus que chez nous, parce que les objets éminemment imposables, le