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de la progression des recettes trouverait un obstacle dans le mécanisme de notre fiscalité : il manque de la souplesse nécessaire pour s’adapter aux circonstances et suivre dans toutes ses inflexions la prospérité qui se développe. Voyez l’impôt anglais tel que l’a constitué un incessant et admirable travail de remaniement depuis la réforme commerciale. Le privilège en a été autant que possible extirpé, toutes les taxes y sont rigoureusement proportionnelles aux revenus ou aux consommations. L’income tax, correspondant à nos contributions directes, a pour essence de se mesurer à la fortune réelle de celui qui le paie. Les impôts indirects sont perçus, sans exception aucune, sur tout ce qui est consommé. De cette manière les revenus de l’état suivent le mouvement de l’aisance nationale aussi exactement que le flotteur qui s’élève en même temps que le niveau du liquide où il baigne. Chez nous, c’est autre chose. Notre régime fiscal, qui a ses racines dans le passé, conserve en plus d’un endroit les traces de ces privilèges qui tenaient à l’essence féodale de l’ancienne monarchie.

Pour nos contributions directes, au lieu de demander des cotisations proportionnelles aux revenus, ce qui réaliserait l’égalité démocratique, nous nous sommes fait une théorie imprégnée de féodalité : la redevance immuable de la terre et l’immunité personnelle de celui qui la possède. On a posé en axiome la fixité du principal en matière d’impôt foncier : les augmentations ne se produisent que sous forme de centimes additionnels, qui presque toujours sont votés sur la demande et pour les besoins spéciaux des localités ; le trésor public n’en profite pas. La production agricole, véritable source de la prospérité nationale, et qui fournit au moins les deux tiers des revenus particuliers, est triplée depuis quarante ans ; le rendement des propriétés bâties s’est assurément élevé dans une proportion égale à celui de la terre. Eh bien ! la contribution foncière proprement dite, celle qui correspond à la richesse territoriale, ne donne pas plus à l’état aujourd’hui que dans les dernières années de la restauration[1]. Les surcharges sont le fait de ces centimes additionnels que s’imposent les départemens et les communes, et dont, la cause la plus ordinaire est la fièvre contagieuse des travaux publics et des embellissemens.

  1. En 1830, le contingent de l’état dans la contribution foncière proprement dite, celle qui provient des immeubles, montait à 170,266,125 francs. Le rendement prévu. pour 1868 est seulement de 170,200,000 francs. — La contribution personnelle et mobilière est passée de 30 millions à 42, celle des portes et fenêtres de 13 millions à 32, ce qui s’explique par l’incessante multiplication des bâtimens. Quant aux patentes industrielles, l’augmentation depuis 1830 est considérable : elles montent de 24 millions à 66 pour la part applicable aux besoins de l’état.