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de la guerre contre Napoléon. Il ne perdit jamais de vue que l’accord de la Prusse et de l’Autriche était le seul moyen de sauver l’Allemagne et sa seule garantie contre la France impériale. Il est si pénétré de cette idée que, se rendant compte des profondes divisions qui séparent le nord et le sud, il en vient à regretter la création de la puissance prussienne par Frédéric II, à la qualifier d’œuvre d’usurpation, à regretter aussi « cette fatale réforme qui a brisé l’empire, uni et invincible sous la souveraineté des Habsbourg. » Le protestant et le Prussien se taisent en lui et laissent parler seulement le politique. Si le mal est irréparable, il peut du moins être atténué par une alliance étroite et loyale entre les deux pays, et c’est à quoi il aurait voulu qu’on travaillât. Lorsqu’au mois d’août 1805 l’Autriche accède au traité de Saint-Pétersbourg, il ne cache pas son regret de la voir s’appuyer sur la Russie, et sa correspondance avec Addington et Pitt témoigne du peu de confiance qu’il avait dans le succès de la troisième coalition. « Vous faites, écrit-il au dernier, commencer la guerre continentale sans avoir changé le ministère autrichien et sans avoir préalablement gagné le roi de Prusse ! Vous aurez avant peu à vous repentir de ces deux fautes capitales. La guerre ne peut être heureuse. L’édifice est foncièrement mauvais, il croule par la base ; la toute-puissance de Dieu ne le sauverait pas. » Deux mois ne s’étaient pas écoulés que les batailles d’Ulm et d’Austerlitz, vérifiant ces pronostics, anéantissaient l’empire germanique, et remettaient l’Europe plus humiliée que jamais sous le joug de Napoléon.

Le coup, bien que prévu, était fait pour étourdir les plus intrépides : Gentz en ressentit toute la force. Toutefois, après un premier retour inquiet sur sa situation personnelle, après un regard jeté sur les ruines amoncelées autour de lui, il songe que l’Angleterre est debout, et reprend courage. A peine revenu, du premier accablement, il s’applique à mettre en pleine lumière les causes de la catastrophe, et compose ses Fragmens de l’histoire contemporaine de l’équilibre en Europe, continuation de sa réponse inachevée au livre du comte Blanc d’Hauterive. Il y développe les suites inévitables des envahissement de l’empire et la nécessité d’y opposer un système nouveau de fédération des états légitimes. Tandis que les gouvernemens vont se recueillir et préparer les moyens d’exécuter ce plan, il faut courir au plus pressé, c’est-à-dire ranimer les restes de l’esprit public en Allemagne. Gentz constate qu’il est ruiné, qu’on chercherait en vain parmi les grands aussi bien que dans la masse du peuple cette tristesse profonde, mais courageuse, cette mâle douleur qui n’exclut pas l’espérance et annonce les résolutions généreuses. Il adjure donc « les forts, les purs et les bons, » quelque petit que soit leur nombre, de se reconnaître et