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l’écrivain avait fait tort au fonctionnaire, bien loin d’aider à son avancement, Gentz se trouva transporté sur un autre où il put déployer ses talens avec plus de liberté.


II

Le plus parfait comédien en politique n’est pas à couvert des surprises d’une passion sincère. Un moment peut arriver, il arrive presque nécessairement, où, s’oubliant dans la chaleur du combat, le talent le plus attentif à veiller sur lui-même est gouverné par les idées au lieu de l’être par le calcul et se trouve sincère sans l’avoir voulu ; mais ce qui distingue ces accès de passion désintéressée d’une conviction réfléchie et profonde, c’est qu’ils ne survivent pas à l’espoir de réussir. Il est difficile de dire d’un homme comme F. de Gentz à quel jour et dans quelle mesure sa conviction a répondu à ses paroles. Tout indique cependant que de 1802 à 1810 il mérite d’être compté parmi les adversaires convaincus de Bonaparte et de l’empire. Quelles sont la nature et l’origine de cette hostilité ? Est-ce le patriotisme, qui se révolte contre le conquérant insatiable et l’oppresseur de l’Allemagne ? est-ce l’irritation d’un partisan de l’ancien régime trompé dans ses espérances de le voir rétablir sans délai ? est-ce l’agacement nerveux d’un sybarite qui en veut surtout au perturbateur du repos des honnêtes gens ? Il y avait de tout cela sans doute dans ses sentimens ; mais ce qui est certain, c’est que pendant huit ans il déploie contre l’empire une activité sans trêve, c’est que cette infatigable énergie procède d’une passion réelle.

Il dépassa même de beaucoup dans son premier élan les dispositions du gouvernement autrichien. Quelque habile qu’il fût d’ordinaire à se proportionner exactement aux sentimens de ceux qui employaient sa plume, il écouta cette fois un peu trop les siens, et faillit se trouver en opposition directe avec le cabinet de Vienne. Les rudes leçons de Hohenlinden et de Marengo, le traité de Lunéville, avaient fait adopter en Autriche une politique qui n’était pas alors celle de Gentz. Le baron de Thugut était tombé, et le comte de Cobentzel formait avec Colloredo et Collenbach un ministère pacifique, apathique, bien plus d’humeur à laisser passer sans bouger toutes les averses sur sa tête qu’à suivre les instigations impatientes de l’Angleterre. Du reste Gentz n’était pas entré au service de l’Autriche pour reprendre la chaîne du fonctionnaire ; il entendait bien que le titre de conseiller-ne lui imposât d’autre obligation que de servir avec fidélité, mais à sa manière, les intérêts du pouvoir » Il se met dès le premier jour à son aise, et, sans attendre l’agrément de ses chefs, il ne se fait aucun scrupule, avant même d’avoir pris possession, de sa place, d’accompagner à Londres