Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien ordonnés, et qui les endurcit contre. toutes les attaques de l’opposition[1]. Sans prendre la peine superflue de défendre contre Gentz la révolution française ou le régime parlementaire, qu’il me soit permis de remarquer que ces explications qui expliquent tout ne rendent évidemment raison de rien.

Après le 18 brumaire, Gentz ne tarda point à s’apercevoir qu’au lieu de la restauration qu’il attendait c’était un régime nouveau qui commençait, tout aussi menaçant pour l’ordre ancien que la convention même ; dès lors il le dénonce sans relâche et ameute contre ce nouvel ennemi l’Europe monarchique. Bonaparte n’a pas étouffé la révolution, il l’a domptée pour s’en servir à son profit ; il rassemble en lui les vices contraires, le principe anarchique de la souveraineté nationale, le principe oppressif de l’autorité sans contre-poids. Gentz avait soutenu, dans un écrit sur l’origine et le caractère de la guerre contre la révolution, que l’intervention des puissances dans les affaires intérieures d’une nation qui met la société en péril est conforme au droit des gens, et que d’ailleurs l’agression était venue de la France ; le seul reproche à faire aux puissances était de n’avoir pas su combattre la force révolutionnaire par les moyens de la révolution, élever dictature contre dictature, intéresser l’opinion publique contre l’ennemi par des innovations sans péril, comme les jacobins l’avaient remuée par tant de mesures subversives ; le tort de l’Europe était surtout de n’avoir point suscité dans ses armées un soldat de génie, quelque Bonaparte enfin, à opposer aux généraux de la convention. Il reprend maintenant la même thèse, mais contre Bonaparte. Sous prétexte d’étudier l’État de la France à la fin de l’an VIII, un publiciste officiel du gouvernement consulaire, le comte Blanc d’Hauterive, s’était efforcé dans un remarquable écrit de montrer que l’équilibre établi par le traité de Westphalie n’existait plus, et de prouver que la formation d’un grand empire au nord de l’Europe, l’élévation de la Prusse au rang de première puissance, le développement prodigieux du système colonial, rendaient un remaniement du continent nécessaire ; c’était un programme de la politique belliqueuse de Bonaparte. Gentz jette le cri d’alarme pour réveiller tous les états menacés par ce manifeste ; il combat pied à pied son adversaire, et, non content de défendre l’équilibre actuel, il prend l’offensive, il appelle et justifie la guerre contre la France. Cette allure agressive répondait mal aux vues du gouvernement prussien, résolu désormais à ne point sortir de la neutralité que Gentz lui conseillait trois ou quatre ans auparavant. Loin de ressentir l’humiliation infligée à l’Autriche par le traité de Lunéville, la Prusse n’était pas éloignée de voir avec quelque joie

  1. Briefe an Pilat, t. II, p. 401.