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archaïque et l’expression chrétienne de la vie de l’âme avec l’image païenne de la grâce ou de la beauté. L’étude de l’antique, telle qu’on la comprenait à la fin du XVIIIe siècle, ne comportait pas ces pratiques tolérantes. Depuis que la dernière génération des élèves formés à l’école du vieux maniérisme avait fait place aux théoriciens ou aux disciples du nouvel art classique, depuis que. suivant l’expression de David, on avait pris à tâche « d’écraser la queue du Bernin, » chacun regardait comme son unique devoir de s’approprier sans contrôle, de transporter sans merci dans le présent les formules adoptées au temps de Périclès ou sous le règne d’Auguste. L’initiative des réformateurs n’allait pas au-delà de ces efforts d’abnégation, et, si le mouvement déterminé vers la fin du pontificat de Clément XIV se continuait avec une activité croissante, il restait encore, lorsque Thorvaldsen vint s’installer à Rome, à le diriger dans un sens et vers un but moins strictement archéologiques.

Thorvaldsen ne fit d’abord que subir avec une docilité crédule l’influence de ces doctrines absolues. A ses yeux comme aux yeux de ses contemporains, l’art antique n’était encore qu’un texte dont il suffisait de transcrire littéralement les termes, de copier en quelque sorte l’orthographe, pour exprimer à son tour l’idéal et le beau ; mais, après quelques tentatives en vue de cette érudition de surface, Thorvaldsen s’avisa que les types qu’il étudiait avaient d’autres enseignemens à lui fournir. Il comprit que, là comme ailleurs, la perfection de la forme n’est et ne doit être que la définition d’une pensée ; tout en s’abritant sous l’autorité d’autrui, il osa donc penser pour son propre compte et traduire avec des moyens consacrés des idées neuves ou tout au moins des sujets rajeunis par le choix du moment, par les intentions, par l’interprétation morale. Le mérite principal du sculpteur danois, à un certain moment de sa vie, consiste dans cette aptitude à combiner l’indépendance du sentiment moderne avec le pieux respect du style ancien ; son titre le plus sérieux à l’estime est d’avoir su, dans quelques-unes de ses œuvres, dire autre chose que ce qui avait été dit avant lui, sans pour cela recourir aux néologismes, ni transgresser les lois de la syntaxe classique. En un mot, comme Flaxman, mais avec moins d’imagination et moins d’élan, il entreprend d’ajouter du sien à ce qui lui vient de ses modèles, et, les découvertes de monumens grecs primitifs aidant, — celle des marbres d’Égine entre autres, — il trouve dans l’étude le secret de la simplicité et un encouragement à débarrasser l’art du pédantisme.

Thorvaldsen est en effet l’un des premiers parmi les sculpteurs modernes qui aient entendu élargir le cercle de l’imitation archaïque et se proposer une autre tâche que la contrefaçon quotidienne de l’Apollon du Belvédère ou de la Vénus de Médicis. En étudiant