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«... Et Rome, quand une branche de la dynastie de Napoléon eut reçu des mains de la victoire le sceptre de Naples et des Deux-Siciles, affecta de ne voir dans cet événement qu’une occasion de renouveler au XIXe siècle sur ces états les prétentions des Grégoire, des Léon, et d’oser parler encore de son droit sur des couronnes; mais cet absurde et imprudent langage, le pape ne l’adressait pas comme Grégoire VII aux enfans dégénérés et avilis de Charlemagne, mais à son successeur puissant et glorieux. Napoléon fit parler par ses ministres le langage de la modération méconnue, de la justice blessée, de la dignité offensée, de la puissance outragée. Il demanda au pape une garantie contre l’abus de sa neutralité par les ennemis du continent. À ce prix, il offrait avec une sincère bienveillance et l’oubli du passé et la sécurité de l’avenir. À ce langage ferme et juste, le cabinet de Rome s’alarma, députa, négocia, trompa, puis, rappelant son légat, lassa la patience, éveilla l’indignation, amena enfin le tour de la justice. Le gouvernement s’éteignait cependant au sein du désordre dont il était lui-même l’artisan. A défaut de soldats, il armait le fanatisme, et distribuait des scapulaires au lieu de fusils, des libelles au lieu de manifestes. Il s’anéantissait au sein de l’anarchie, il abdiquait par son abandon. Le ministre français dut s’éloigner. Le temps était venu. Les aigles impériales reprirent possession de leur antique territoire. Le domaine de Charlemagne rentra dans les mains d’un plus digne héritier. Rome appartint à l’empereur... »


Chose à peine concevable, de l’arrestation du pape, de sa venue en France, de sa réclusion à Savone, pas un mot dans ce document! Où était le pape, qu’était-il devenu au milieu des événemens dont l’empereur présentait une si étrange relation? Il n’appartenait pas aux sénateurs d’en rien savoir de plus que les très humbles journalistes de l’empire, auxquels, après six mois, il était encore interdit, comme au premier jour, de prononcer le nom même de Pie VII. Il ne suffisait pas à Napoléon d’accabler publiquement son faible adversaire sous des accusations auxquelles il lui était impossible de répondre, ce n’était pas assez de lui prodiguer des injures dans des documens officiels; il fallait autant que possible laisser le pays dans la plus complète ignorance sur le sort qui lui avait été réservé. Le pape, prisonnier dans une petite ville du littoral de la Méditerranée pendant que l’empereur s’enivrait de la pompe des fêtes qui préludaient à son prochain mariage, cela pouvait être d’un mauvais effet sur l’imagination du peuple français. Plus d’une fois, depuis le temps du sacre, le peuple avait associé ensemble ces deux noms du pape et de l’empereur. L’empereur en avait alors tiré gloire et profit, et les orateurs du gouvernement avaient dû leurs plus beaux effets d’éloquence aux