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loupe sur des erreurs de détail qui ne sauraient ni altérer la signification de l’ensemble, ni en compromettre la beauté ? Le Mercure, la Nuit d’autres statues ou d’autres bas-reliefs de la même époque à peu près que les travaux dont nous avons parlé sont propres, avant tout, à nous renseigner sur le mérite de Thorvaldsen. Que, même dans cette première moitié de sa carrière, on puisse constater des efforts inégaux ou tout au moins inégalement heureux, que certains morceaux célèbres, tels que la statue de Vénus ou le groupe des Trois Grâces, auquel le roi Louis de Bavière a consacré toute une pièce de vers, ne paraissent pas aujourd’hui justifier pleinement les succès d’abord obtenus, — libre à chacun de faire à cet égard ses choix ou ses réserves ; toujours est-il que, considérées dans leur ensemble, les œuvres appartenant à cette période ne peuvent qu’honorer l’homme qui les a produites. Quelques-unes d’entre elles sont véritablement belles, plusieurs autres remarquablement ingénieuses ; toutes attestent un respect consciencieux des grandes traditions, toutes se recommandent par l’élévation du style, par L’expression étudiée de la forme et du sujet. Si cette expression est quelquefois imparfaite, l’intime bonne volonté du moins, la constante sincérité de l’artiste, rachètent ici des erreurs pour lesquelles on ne saurait trouver dans les travaux qui vont suivre ni des excuses aussi sérieuses, ni les mêmes compensations.


II

La seconde phase de la vie et du talent de Thorvaldsen, celle qu’on pourrait appeler l’époque de la vogue et de la production à outrance, s’ouvre à peu près avec l’année 1820. Jusqu’alors, il est vrai, Thorvaldsen avait vu les choses tourner de plus en plus au profit de sa réputation et de sa fortune. Depuis le jour, bien éloigné déjà, où une première commande était venue à point nommé le retenir à Rome[1] et remplacer pour lui les ressources perdues la veille avec la qualité de pensionnaire, les tâches confiées à son ciseau s’étaient succédé sans relâche, et chacune d’elles, une fois achevée, avait procuré à son nom un surcroît de notoriété. Si brillans qu’ils fussent toutefois, ces succès n’inspiraient pas encore au sculpteur une telle confiance dans sa propre infaillibilité ou dans la perpétuité de la faveur acquise qu’il entendît, pour en exploiter les privilèges, se passer du temps et de l’étude. Il avait eu en outre le bon esprit de n’aborder que des sujets conformes à ses aptitudes,

  1. Celle du Jason dont nous avons parlé et qu’un banquier anglais, M. Hope, vint lui faire au moment même où Thorvaldsen, prêt à retourner dans son pays, transportait ses malles sur le vetturino qui attendait à la porte.