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semblent interprétées avec autant de science exacte et de certitude, bien que le travail original ait été, en raison des circonstances, presque improvisé d’un bout à l’autre, et que par conséquent l’exécution matérielle ne dépasse guère ici la limite des procédés sommaires et des indications[1].

Thorvaldsen d’ailleurs eût été malvenu à rechercher dans un travail de ce genre la délicatesse de la touche et du modelé. « La frise, dit M. Eugène. Pion, devait être placée à une assez grande hauteur pour que le fini de l’exécution ne fût qu’une question secondaire. » On pourrait même ajouter qu’en écartant tout à fait cette question le sculpteur faisait preuve de bon sens et de bon goût. Il est clair que, comme la peinture des coupoles ou des voûtes, la sculpture monumentale veut être traitée avec une fermeté dans les lignes, avec une sobriété dans l’imitation des détails, qui permette au regard de reconnaître tout d’abord les intentions et les choses, et, malgré l’éloignement, de les lire, pour ainsi dire, couramment. Bien plus, l’ampleur et la simplicité du faire, les brutalités même de la touche, ne suffisent point en pareil cas. En raison de certains phénomènes optiques, aussi variables d’ailleurs que les conditions particulières de la lumière donnée, du point de vue et du lieu, telle déformation peut devenir scientifiquement nécessaire, tel mensonge aboutir à l’image du vrai plus sûrement qu’une reproduction littérale de la réalité. N’est-ce pas en fouillant ça et là le marbre à outrance, en exagérant, parfois la grâce jusqu’à la grimace ou le mouvement jusqu’à la convulsion, que Donatello trouvait le secret de cette animation qui nous charme dans ses travaux de sculpture monumentale ? Les bas-reliefs entourant la chaire extérieure de la cathédrale de Prato, ceux qu’il avait faits pour la tribune des orgues, dans la cathédrale de Florence, et que l’on voit aujourd’hui au palais des Offices, révèlent assez les efforts de ce grand maître pour régler ses comptes avec la perspective et la

  1. Thorvaldsen ne put disposer que de quelques mois pour concevoir et mener à fin cette immense entreprise, qui lui avait été confiée au commencement de l’année 1812. La frise, longue de plus de trente mètres, sur laquelle il devait retracer l’Entrée triomphale d’Alexandre à Babylone, était destinée à la décoration d’une salle du palais Quirinal, demeure de l’empereur Napoléon pendant le séjour prochain qu’il comptait faire à Rome. Le modèle en plâtre une fois scellé à la place qu’il occupe encore aujourd’hui, Thorvaldsen reçut l’ordre d’en exécuter une répétition en marbre pour un monument alors en construction à Paris, le Temple de la Gloire, devenu plus tend l’église de la Madeleine. C’est cette répétition modifiée dans quelques parties, dans les figures entre autres d’Alexandre, de la Victoire et de la Paix, qui, depuis 1828, orne la villa Sommariva, sur les bords du lac de Côme. Une seconde répétition en marbre, offrant avec le modèle primitif des différences plus notables encore, a été placée dans le palais de Christiansborg, à Copenhague.