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trouvait pas suffisamment gallicanes. L’empereur, très chatouilleux sur cet article, l’avait mandé à Fontainebleau, puis l’avait renvoyé très satisfait de sa conversation, quoique l’intrépide abbé l’eût plus d’une fois contredit, et cela dans des termes auxquels l’empereur n’était guère habitué. « Vous avez, dit-il au marquis de Villette, un parent bien sévère dans la personne de M. Emery ; mais on ne peut s’empêcher de l’admirer. » — « C’est un homme, ajoutait-il, qui me ferait faire tout ce qu’il voudrait et peut-être plus que je ne devrais » — « M. Émery, avait-il dit une autre fois, est le seul homme qui me fasse peur[1]. » — « Napoléon, a raconté M. Molé dans son discours de réception à l’Académie française, ne pouvait se lasser d’admirer dans ce saint prêtre je ne sais quel mélange de simplicité presque primitive et de sagacité pénétrante, de sérénité et de force, j’ai presque dit de grâce et d’austère ascendant. Voilà me dit-il un jour, la première fois que je rencontre un homme doué d’un véritable pouvoir sur les hommes, et auquel je ne demande aucun compte de l’usage qu’il en fera. Loin de là, je voudrais qu’il me fût possible de lui confier toute notre jeunesse ; je mourrais plus rassuré sur l’avenir. »

L’abbé Émery avait été nommé malgré lui de la commission ecclésiastique. Il avait fait tout au monde pour être dispense d’y prendre part. Le plus souvent il y combattit les opinions de ses collègue les mieux disposés pour les projets du gouvernement. L’empereur lui savait gré de ce que, dans l’affaire de l’annulation de son mariage, l’abbé Émery avait été d’avis que l’officialité diocésaine de Paris était compétente. Pour le quart d’heure, il ne lui en fallait pas davantage. C’est pourquoi, connaissant si bien la juste considération attachée dans le clergé au caractère du digne supérieur de Saint-Sulpice, il s’était empressé de faire mettre dans le Journal des Curés une note d’où il résultait que la commission ecclésiastique dont il faisait partie avait approuvé non-seulement la compétence, mais encore les conclusions de l’officialité. Il n’en était rien. C’était une singulière manière de reconnaître la sagesse de la conduite de l’abbé Émery que de le compromettre ainsi dans une affaire à laquelle il n’avait voulu prendre aucune part sinon par l’opinion qu’il avait personnellement émise en dehors de la commission, et qui avait été, comme nous l’avons dit, favorable à la compétence de l’officialité. Cette supercherie, pour employer les termes les plus doux, servait les desseins de Napoléon, il se la permit sans scrupule. Réclamer par la voie des journaux n’eût pas

  1. Récit du marquis de Villette, récit de M. Garnier. Papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.