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Je suis arrivé, moi, à penser que c’était un devoir d’apprendre à étudier, même dans la vieillesse et sans souci du terme plus ou moins rapproché qui mettra fin à l’entreprise. L’étude est l’aliment de la rêverie, qui est elle-même de grand profit pour l’âme, à cette condition d’avoir un bon aliment. Si chaque jour qui passe fait entrer un peu plus avant dans notre intelligence des notions qui l’enflamment et stimulent le cœur, aucun jour n’est perdu, et le passé qui s’écoule n’est pas un bien qui nous échappe. C’est un ruisseau qui se hâte de remplir le bassin où nous pourrons toujours nous désaltérer et où se noie le regret des jeunes années. On dit les belles années ! c’est par métaphore, les plus belles sont celles qui nous ont rendu plus sensitifs et plus perceptifs ; par conséquent l’année où l’on vit dans la voie vde son progrès est toujours la meilleure. Chacun est libre d’en faire l’expérience.

Il n’y a pas que des plantes dans la nature : d’abord il y a tout ; mais commencez par une des branches, et quand vous l’aurez comprise, vous en saisirez plus facilement une autre, la faune après la flore, si bon vous semble. La pierre ne semble pas bien éloquente au milieu de tout cela. Elle l’est pourtant, cette grande architecture du temple ; elle est l’histoire hiéroglyphique du monde, et en l’étudiant, même dans les minuties minéralogiques, qui sont plus amusantes qu’instructives, on complète en soi le sens visuel du corps et de l’esprit. Ces mystérieuses opérations de la physique et de la chimie ont imprimé aux moindres objets des physionomies frappantes que ne saisit pas le premier œil venu. Tous les rochers ne se ressemblent pas ; chaque masse a son sens et son expression ; toute forme, toute ligne a sa raison d’être et s’embellit du degré de logique que sa puissance manifeste. Les grands accidens comme les grands nivellemens, les fières montagnes comme les steppes immenses, ont des aspects inépuisables de diversité. Quand la nature n’est pas belle, c’est que l’homme l’a changée ; voir sa beauté où elle est et la voir dans tout ce qui la constitue, c’est le précieux résultat de l’étude de la nature, et c’est une erreur de croire que tout le monde est à même d’improviser ce résultat. Pour bien sentir la musique, il faut la savoir ; pour apprécier la peinture, il faut l’avoir beaucoup interrogée dans l’œuvre des maîtres. Tout le monde est d’accord sur ce point, et pourtant tout le monde croit voir le ciel, la mer et la terre avec des yeux compétens. Non, c’est impossible ; la terre, la mer et le ciel sont le résultat d’une science plus abstraite et d’un art plus inspiré que nos œuvres humaines. Je trouve inoffensifs les gens sincères qui avouent leur indifférence pour la nature ; je trouve irritans ceux qui prétendent la comprendre sans la connaître et qui feignent de l’admirer sans la voir. Cette verbeuse et prétentieuse admiration descriptive des personnes