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barrasser quelque peu les membres du comité, si portés à la déférence envers l’oncle du chef de l’état. Quand le cardinal prenait la parole pour soutenir, en matière ecclésiastique, des opinions qui contrecarraient les siennes : « Où avez-vous appris cela ? reprenait aigrement Napoléon en l’interrompant. Est-ce en Italie, pendant que vous spéculiez sur le pain de mes soldats ? Laissez donc parler ceux qui sont experts sur des sujets auxquels vous n’avez jamais rien entendu. Je ne me soucie point de ce que vous pensez, je veux avoir l’avis de M. Duvoisin et de M. Émery ; à la bonne heure voilà des gens qui connaissent les affaires dont ils raisonnent. »

M. Duvoisin, l’évêque de Nantes, était très versé en effet dans la science théologique ; prêtre convaincu, agréable causeur, insinuant et fort habile à plaire, il soutenait de la façon la plus persuasive au milieu de ses collègues les thèses favorites de l’empereur, et s’était ainsi attiré toute sa confiance. M. l’abbé Émery, s’il ne possédait pas à beaucoup près au même degré la faveur personnelle de l’empereur, était de sa part l’objet d’une considération très évidente. Elle remontait déjà loin. Napoléon se souvenait qu’au temps de la négociation du concordat tous les ecclésiastiques avec lesquels il avait causé de cette grande affaire, l’abbé Bernier entre autres, avaient toujours cité le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice comme un oracle de l’église, et n’avaient jamais manqué de s’étayer de son avis dans les controverses qu’ils avaient parfois soutenues contre lui. Napoléon l’avait à cette époque désigné pour un siège épiscopal, mais l’abbé Émery avait refusé, ce qui avait profondément blessé l’empereur ; il était revenu vite sur son compte quand il avait clairement discerné que c’était affaire de conscience de sa part et nullement d’opposition. Son estime pour lui s’en était même augmentée. « Est-ce que vous avez dans tout le clergé de Paris un homme comme l’abbé Émery ? » s’était-il écrié un jour en rencontrant l’abbé Malaret, l’un des grands vicaires du chapitre métropolitain. Il n’avait pas oublié que son oncle, le cardinal Fesch, était allé faire une longue retraite sous la direction du supérieur de Saint-Sulpice avant de reprendre ses fonctions ecclésiastiques. Il se sentait une naturelle admiration pour ce prêtre modeste qui semblait avoir le don de commander à ses supérieurs. Quand il avait nommé quelque évêque ayant besoin de se retremper dans l’esprit de son état, « il faudrait, disait-il, l’envoyer à l’abbé Émery[1]. » L’ancien oratorien Fouché, qui était très mal disposé pour l’abbé Émery, l’avait plusieurs fois dénoncé à Napoléon à cause de ses opinions, qu’il ne

  1. Récit de l’abbé de Bauzan, récit de M. de Janson, évêque de Nancy. — Papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.