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Dirons-nous que la floraison exubérante des arbres à fruit est une erreur de la nature ? La nature est prodigue parce qu’elle est riche, et non parce qu’elle est folle.

« Nous voulons bien, » — je fais toujours parler les savans à ma guise, ne leur en déplaise, — « nous voulons bien ne pas l’appeler généreuse, pour ne pas nous égarer dans les questions de Providence, qui ne sont pas de notre ressort et dont la recherche nous est interdite ; mais, s’il fallait choisir entre ce mot de généreuse et celui d’imbécile, nous préférerions le premier comme peignant infiniment mieux l’aspect et l’habitude de ses fonctions sur la planète. Donc nous rejetons de notre vocabulaire scientifique les mots impropres et malsonnans d’avortement et de maladie appliqués aux opérations normales de la vie. »

Les savans eussent pu exprimer cette idée en de meilleurs termes, mais tels qu’ils sont, vulgaires et sans art, ils valent mieux que ceux dont ils se sont servis pour dénaturer leur pensée et nous la rendre obscure, puérile et quelque peu révoltante.

N’en parlons plus, et chérissons quand même la science et ses adeptes. Je veux vous dire d’où je tire mon respect et mon affection pour les naturalistes, car c’est ici le lieu de répondre complètement à votre objection : la science refroidit.

Je n’ai pas la science, c’est-à-dire que je n’ai pas pu suivre tout le chemin tracé dans le domaine du connu. Une application tardive, d’autres devoirs, des nécessités de position, peu de temps à consacrer au plaisir d’apprendre, le seul vrai plaisir sans mélange, peu de mémoire pour reprendre les études interrompues sans être forcé de tout recommencer, voilà mes prétextes, je ne veux pas dire mon excuse. J’ai à peine parcouru les premières étapes de la route, et j’ai encore les joies de la surprise quand je fais un pas en avant. Je dois donc parler humblement et vous répéter : Je ne sais pas si vraiment on se refroidit et pourquoi on se refroidit quand on a fait le plus long trajet possible. Pour vous expliquer la froide hypothèse de tout à l’heure, j’ai été obligé de recourir à des hypothèses ; mais j’ai un peu d’étude, et je peux vous dire à coup sûr que l’étude enflamme ; Or l’étude nous est donnée par ceux qui savent, et il est impossible de renier et de méconnaître les initiateurs à qui l’on doit de vives et pures jouissances.

Ces jouissances, vous ne les avez pas bien comprises, et pourtant elles n’ont rien de mystérieux. Vous me disiez : J’aime les fleurs avec passion, j’en jouis plus que vous qui cherchez la rareté, et trouvez sans intérêt les bouquets que je cueille pour vous tout le long de la promenade.

D’abord un aveu. Vous me saignez le cœur quand vous dévastez avec votre charmante fille une prairie emaillée pour faire une