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ou, pour mieux dire, chez tous les peuples primitifs, on trouve un régime très semblable à celui que réclament aujourd’hui les nations modernes, — assemblées délibérantes de tous les hommes libres, élection des chefs et des magistrats, la paix et la guerre décidées par le peuple lui-même, la liberté individuelle complète, nul ne pouvant être jugé que par ses pairs et nul ne devant un service ou un impôt sans y avoir consenti. C’est précisément ce régime que les compagnons d’Arpad ont établi en leur barbarie native, et qui, à peine modifié par leurs descendans, a été pratiqué sans interruption jusqu’à ce jour. On l’a dit avec raison, c’est la liberté qui est ancienne et le despotisme qui est récent.

Quand on songe à ce brillant passé des Magyars, on est porté à rechercher avec une sympathique curiosité quel sera leur avenir. Or ce redoutable mouvement des peuples qui tendent à se réunir par grandes nationalités les menace, on ne peut se le dissimuler, d’un sérieux danger. Ils ont un grand malheur : ils sont trop peu nombreux. Ils ne sont que 5 millions, et ce petit groupe de Touraniens est enclavé entre deux masses énormes, 50 millions d’Allemands d’un côté, 70 millions de Slaves de l’autre. D’origine, de mœurs, de langue, ils sont très différens les uns des autres et ne peuvent se fondre avec eux. Ils n’aiment point leurs puissans voisins et n’en sont pas aimés. Ils se croient supérieurs aux Allemands et aux Slaves, lesquels à leur tour se croient supérieurs aux Hongrois. De ce conflit de prétentions rivales naissent mille difficultés. En ce moment, les Hongrois triomphent ; ils sont les maîtres de l’empire, on fait tout pour les satisfaire. Les Allemands se résignent, et les Croates sont assez sages pour accepter la main que les Magyars leur offrent pleine de libertés et de concessions : mais le travail profond des nationalités en formation se poursuit sourdement, et avant un quart de siècle il faudra compter avec les Slaves. Qu’adviendra-t-il alors des Hongrois ? Il est certain dès maintenant qu’ils cesseront un jour d’être la race dominante. Il dépend d’eux, je crois, de ne point devenir une race asservie.

Pour échapper à ce péril, il faut qu’ils se décident à faire deux choses que jusqu’à présent ils ont toujours repoussées. Ils doivent d’une part s’appuyer sur les Allemands, s’inspirer de leur civilisation et s’unir plus intimement à ceux de l’Autriche par un lien fédéral ; d’autre part, ils doivent aider, autant qu’ils le peuvent, les Slaves du sud à développer leur langue, leur littérature, tous les élémens de force et de grandeur que ceux-ci possèdent. Il fut un temps où on a pu espérer peut-être les magyariser. Ce temps est passé. L’esprit national est éveillé ; il ne sera plus étoulîe. et il acquerra sans cesse une force plus grande. Les Serbes, les Croates,