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comme on peut le voir de temps à autre par leurs résolutions[1]. Quand celles-ci sont illégales, le ministère les déclare nulles et procède à la dissolution des députations, qui doivent alors être réélues. On attend une loi nouvelle qui réorganisera toutes les institutions provinciales et communales, et l’on prétend qu’elle accroîtra la part d’action du pouvoir central. Il se peut qu’il soit nécessaire d’étendre celle-ci pour augmenter la force de cohésion du pays. Cependant il faut se garder pour deux motifs de trop sacrifier à l’amour de l’uniformité administrative : d’abord pour un motif de prudence, restreindre les droits des comitats serait jeter dans pays un germe de mécontentement qu’exploiteraient les partisans des révolutions violentes ; en second lieu, qu’on ne l’oublie pas, il faut mesurer l’excellence des institutions non à la régularité avec laquelle elles fonctionnent, mais à l’action qu’elles exercent sur la trempe des caractères. Malo periculosam libertatem quam tranquillam servitutem, disait un magnat, et il n’avait pas tort. Il faut craindre, en poursuivant l’ordre avec une sollicitude pédantesque, de tuer la spontanéité des individus, sans laquelle rien de grand ne se fait. Le régime en vigueur aux États-Unis n’est qu’anarchie pure en comparaison de cette admirable tranquillité que M. de Metternich avait fait régner dans l’empire qu’il administrait, et pourtant ce régime anarchique a produit le peuple le plus vigoureux, le plus puissant, le plus riche de l’univers, tandis que ce repos patriarcal a tellement affaibli l’Autriche qu’il a fallu la plus rare habileté pour la préserver d’une dissolution finale. Que les partisans de la centralisation administrative réfléchissent sur l’enseignement qui ressort de l’histoire de la Hongrie. Si elle a défendu ses libertés pendant deux siècles avec un héroïsme qui n’a pas été surpassé, c’est parce que tous les hommes libres les pratiquaient et en sentaient ainsi les avantages. Des droits inscrits dans une charte, mais dont nul ne fait usage, seront sacrifiés dès la première alarme. Il ne sert de rien de les graver, même avec du sang, sur les tables de la loi, c’est dans les mœurs de chaque jour qu’il faut les faire pénétrer. Voulez-vous former un peuple qui jamais ne se résigne au pouvoir arbitraire, faites que celui-ci ne puisse s’implanter sans troubler toutes les habitudes nationales. En Hongrie, le despotisme, pour s’établir, devait supprimer les institutions du comitat, et toucher à celles-ci, c’était bouleverser toute la vie publique, frapper tous les citoyens au cœur. C’est pourquoi on les a nommées avec raison le boulevard des libertés hongroises.

  1. En voici un exemple récent. Le comitat de Comorn a résolu de ne pas obéir au rescrit « illégal » du ministère hongrois concernant les travaux préliminaires pour le recrutement, mais en se décidant, pour des motifs d’opportunité, à dresser la liste des jeunes gens qui font partie de la levée de cette année.