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l’heure de l’émancipation est venue, ils l’ont acceptée, parce que, comme en Angleterre, le souffle de la liberté pénétrait à tel point tout le corps politique, que le patricien le plus obstiné ne pouvait en méconnaître les exigences.

Une autre circonstance encore a contribué à faire produire de bons résultats aux institutions locales de la Hongrie. Loin de favoriser le despotisme, la religion et ses ministres en ont été ordinairement les adversaires. La réforme, en introduisant les assemblées générales de tous les fidèles, l’élection des pasteurs et la discussion publique des intérêts du troupeau, a fortifié les habitudes de self-govemment, et même le clergé catholique séculier s’est montré souvent indocile aux suggestions des jésuites et de l’esprit ultramontain. Aujourd’hui encore ce n’est qu’en Hongrie qu’on peut voir ce clergé aimer mieux sa patrie que Rome, et se refuser à y jeter le trouble, comme en Autriche, pour venger les griefs du pape. Tandis qu’en France, en Italie, en Portugal, en Belgique, en Hollande, dans le canton de Berne, partout enfin, il est prêt à sacrifier à ses rancunes contre les idées modernes non-seulement les libertés, mais l’indépendance nationale, tandis qu’en Angleterre un laïque, un lord, animé du même esprit, proclame hautement qu’il est papiste avant d’être Anglais, en Hongrie il s’est trouvé un prêtre, Mgr Haynald, maintenant archevêque de Kaiocza, qui a subi l’exil et la défaveur de la cour romaine plutôt que de trahir l’indépendance de sa patrie.

Ces assemblées comitales administrant toutes les affaires par leurs magistrats électifs, gardiennes jalouses des anciens privilèges et en même temps très ouvertes à toutes les idées démocratiques, avec leurs discussions souvent tumultueuses, leurs élections orageuses, leur opposition frondeuse à toute ingérence quelconque de l’autorité royale, pour tout dire en un mot, ces clubs trimestriels prétendant exercer la souveraineté, devaient causer à la cour de Vienne une profonde antipathie. Pour qui ne voit l’ordre que dans l’obéissance passive, c’était évidemment l’image de l’anarchie. Aussi essaya-t-elle par un travail persévérant de restreindre les attributions des comitats et surtout de brider leur goût d’opposition. Ce n’est qu’après 1850 qu’elle y réussit en suspendant leurs réunions et en nommant des receveurs royaux pour percevoir les contributions. Aujourd’hui l’organisation du comitat est réglée par la loi provisoire de 1848. Comme le nombre des électeurs a beaucoup augmenté et que les privilèges de la noblesse ont été abolis, il a fallu remplacer l’ancienne assemblée.par une députation permanente (stabile Ausschuss) très nombreuse, nommée par les électeurs et exerçant tous les droits de l’ancienne assemblée. Le même esprit d’opposition parfois anarchique règne dans ces députations,