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ces états ne représentaient que les privilégiés. En Hongrie, toute la classe moyenne faisait partie de l’assemblée du comitat. En effet, on y voyait paraître tous ceux qui avaient fait des études d’un degré supérieur, les ministres du culte et la classe très nombreuse de la petite noblesse ; or celle-ci comprenait non-seulement ceux qui avaient quelque propriété foncière, fût-ce, comme on disait en hongrois, « une maison et quatre pruniers, » mais même des gens fort pauvres qui, ne possédant rien, vivaient de leur travail et formaient la partie remuante du corps électoral. Dans certains districts indépendans, chez les Kumans, les Jazigues et les Hayduques, tous les citoyens sans exception avaient le droit de se rendre à l’assemblée, parce que tous étaient nobles, la race conquise ayant laissé la place libre aux conquérans. Tout ce qu’il y avait d’énergique dans la nation prenait ainsi une part active à l’administration des affaires. De là vient cet esprit démocratique ou républicain, si l’on veut, qui n’a cessé de régner dans ce pays. Même quand la diète centrale ne se réunissait plus, la vie politique était entretenue dans les comitats, qui étaient les forteresses de la liberté, et d’où partait toujours le signal de la résistance aux usurpations des souverains.

La haute aristocratie hongroise ne ressemblait nullement à celle de l’ancien régime en France. Vivant dans ses terres, qu’elle faisait toujours valoir elle-même, son bien-être dépendait de la prospérité générale du pays. Éloignée de la cour, elle n’attendait rien de la faveur royale. Il s’en est suivi qu’elle n’avait qu’à consulter ses propres intérêts pour défendre ceux de la patrie ; aussi sont-ce les plus grandes familles qui ont toujours conduit les insurrections nationales. Pour prendre part à l’administration des affaires dans le comitat, les magnats étaient obligés d’apprendre le latin, de s’occuper d’affaires judiciaires, administratives, financières. Ils prenaient ainsi l’esprit des légistes, qui ailleurs a miné l’aristocratie. Ils n’avaient rien de ces oisifs, modèles d’élégance, de frivolité et de corruption, vivant à Versailles d’aumônes achetées au prix du servilisme devenu un art ; c’étaient des gentilshommes campagnards comme les anciens squires anglais, parfois grossiers, violens, batailleurs, grands chasseurs et grands buveurs, mais capables de conduire une ferme, d’élever du bétail, de siéger dans un tribunal et de discuter les affaires du canton, pointilleux à l’excès sur le droit historique, toujours occupés de politique, habitués à la vie parlementaire et assez résignés à l’égalité, puisqu’ils étaient obligés de discuter avec de pauvres hères vêtus de peau de mouton, mais assis sur les mêmes bancs qu’eux, et dont la voix valait la leur, puisqu’ils étaient nobles. Ils n’étaient pas meilleurs que les seigneurs des autres pays pour leurs paysans attachés à la glèbe ; mais quand