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consacraient pas l’égalité ; mais, créées par des conquérans qui jouissaient de l’indépendance des races barbares, elles consacraient la liberté, une liberté si grande qu’elle aboutissait parfois à l’anarchie. Aussi les peuples qui ont su défendre leurs institutions anciennes contre les attaques de la réaction absolutiste et cléricale qui s’est appesantie sur l’Europe au XVIe siècle n’ont qu’à y introduire aujourd’hui l’égalité pour avoir une constitution politique qui réponde aux nécessités de notre temps. Voilà précisément ce qu’a fait la Hongrie, comme nous allons le voir.

Le fondement de l’état en Hongrie est le comitat. Le comitat ressemble bien plus au canton suisse qu’au comté anglais ou au département français. Les comitats, au nombre de cinquante, forment autant de provinces indépendantes s’administrant elles-mêmes, se prétendant complètement autonomes et constituant une sorte de confédération. Leur situation n’a jamais été très nettement définie, soit par les coutumes anciennes, soit par les lois de 1848, qui ne leur ont donné qu’une organisation provisoire. Celle-ci reste en vigueur parce qu’on n’ose toucher à cette matière délicate, qui réveille toutes les susceptibilités de l’instinct d’indépendance des Magyars. La division en comitats remonte, dit-on, à Charlemagne, qui les a introduits après avoir soumis les Avares ; mais c’est seulement à la fin du XIe siècle que le roi Bela leur donna une constitution régulière qui depuis lors n’a plus subi de grands changemens. Toutes les affaires sans exception, travaux publics, finances, administration, justice, étaient réglées par une assemblée qui se réunissait tous les trois mois et qui élisait tous les fonctionnaires pour trois ans, sauf le comte suprême (obergespan en allemand, föispan en hongrois). Le comte suprême, nommé par le souverain, était l’unique représentant du pouvoir central. Il ne pouvait s’opposer à aucune résolution, son autorité légale était presque nulle ; mais son influence personnelle était souvent très grande, parce que le gouvernement choisissait toujours le personnage le plus important de la province. Avaient le droit de paraître à l’assemblée trimestrielle : les nobles, les délégués des petites villes, les ministres des cultes et les personnes exerçant une fonction libérale (honoratiores), enfin les veuves, c’est-à-dire en réalité tous les citoyens, car les roturiers et les paysans n’étaient pas considérés comme citoyens. Les villes royales, comme les bourgs incorporés en Angleterre, ne faisaient point partie du comitat et s’administraient aussi elles-mêmes d’une façon complètement indépendante par leurs magistrats, élus sans aucune intervention du pouvoir royal.

Pour rendre la justice, l’assemblée du comitat nommait, toujours pour trois ans, un juge suprême et des juges ordinaires qui ne pouvaient prononcer aucun jugement, ni au civil ni au