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la beauté magyare. Les Batthiányi seuls manquent, dit-on ; ils portent encore le deuil du 6 octobre 1849. Ce cortège est comme une vision du moyen âge ressuscité ; il faudrait tout un chant de poème héroïque pour énumérer et décrire ceux qui le composent. En le voyant passer sous mes yeux éblouis, je pensais à la description de l’arrivée des Burgondes à la cour d’Attila dans l’épopée des Nibelungen. Ce sont bien les descendans des Huns que je vois, et le lieu de la scène est le même. Les évêques aussi, avec leurs mitres et leurs chasubles étincelantes, sont à cheval comme à la bataille de Mohacs, où ils mouraient pour la patrie. Enfin paraît le roi François-Joseph, la couronne de saint Etienne au front, le manteau d’or de Gisèle sur les épaules, le glaive de justice à la main, monté sur un magnifique cheval dont la robe merveilleuse a la teinte de la fleur du pêcher. Il s’élance vers le monticule ; en trois bonds, il est au sommet, et là le royal cavalier, faisant dresser quatre fois le fier animal sur ses jarrets, fend l’air de son épée dans la direction du nord, du sud, de l’orient et du couchant, pour montrer que, de quelque côté de l’horizon que l’ennemi arrive, il saura le repousser. Ce jeune souverain sur ce cheval bondissant était bien l’image de la royauté antique et de ce peuple vaillant dont toute l’existence n’a été qu’un long combat. Nous ne sommes plus au XIXe siècle, nous revoilà en l’an 900, et c’est Arpad qui, élu par ses rudes guerriers, s’est élancé sur le mont pannonien. Toute la foule est ivre de joie et d’enthousiasme ; les pleurs coulent, les mouchoirs s’agitent et les cris mille fois répétés d’eljen, auxquels se mêlent les salves de l’artillerie, éclatent et se répondent des deux bords du Danube. Dans les états où aucun lien ne rattache les générations actuelles au passé, cette cérémonie ne serait qu’une splendide mascarade historique. Ici tout ce cérémonial, qui s’est répété depuis mille ans au couronnement de cinquante rois, est la mise en scène symbolique de l’histoire nationale. Remarquez d’ailleurs que bien des choses anciennes répondent ici aux besoins de la société moderne. Si les pays annexes sont représentés, c’est qu’ils ont conservé une existence indépendante qui réclame l’adoption du lien fédéral ; si les comitats ont des délégués portant leurs couleurs, c’est que la centralisation ne les a pas broyés sous la commune uniformité. Les magnats, qui sont les pairs du royaume, au lieu de porter lunettes et béquilles, montent des chevaux fougueux, le sabre au côté, comme les compagnons de Hunyadi et de Corvin. N’est-ce pas l’application la plus complète de ce principe démocratique en vertu duquel tous les citoyens doivent être à la fois législateurs et soldats, exercés à la discussion et au combat, forts du bras et de la tète, capables de parler au forum et de se battre sur le champ de bataille ? Qu’on n’oublie pas ceci : les institutions du moyen âge ne