Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Angleterre allant ouvrir ou fermer le parlement, et qu’on voit cet antique carrosse aux lourdes dorures traîné par huit chevaux et accompagné par des hallebardiers en costume du temps de Henri VIII, si gros, si bien nourris qu’on les appelle beefeaters, on ne peut s’empêcher de trouver ces vieilleries assez puériles ; mais, en y réfléchissant, on comprend qu’elles représentent la tradition. Or la tradition, pour les familles comme pour les peuples, est une force qu’il ne faut point dédaigner. Heureux les peuples qui dans leurs traditions trouvent la liberté, et qui, pour jouir de leurs droits naturels, ne sont pas forcés de s’insurger contre leur droit historique !

Le couronnement n’est ni pour le roi ni pour la Hongrie une vaine cérémonie. C’est seulement par le couronnement que l’héritier du trône est investi de l’autorité royale, en vertu de la maxime non est rex nisi coronatus. Or, avant de recevoir la couronne, il doit jurer de respecter les droits du peuple inscrits dans les anciens traités et capitulations. C’est comme la consécration du pacte conclu entre la nation et le souverain. C’est aussi la preuve que le pouvoir de celui-ci n’est pas absolu et ne peut s’exercer que dans les limites tracées par la constitution. Après la défaite de la Hongrie en 1849, les vainqueurs avaient prétendu la traiter en province conquise, en pays qui par la révolte a perdu ses anciennes franchises ; mais les Magyars, grâce à leur résistance légale, grâce aussi, faut-il le rappeler ? à la journée de Sadowa, avaient obtenu de l’empereur la reconnaissance de leur droit historique. Le couronnement signifiait donc que la Hongrie rentrait en possession de son indépendance, de ses institutions, de ses lois, si longtemps contestées. Elle avait reconquis ses libertés, non plus comme au temps de Bethlen, de Tököli, de Rákóczy, sur les champs de bataille et par les armes, mais dans le sein de son parlement, par l’éloquence de ses hommes d’état et la fermeté de ses députés.

A Bude-Pesth, le 8 juin 1867 dès cinq heures du matin, le canon annonça la solennité, qui commençait de bonne heure parce qu’elle devait durer longtemps. Le soleil s’était levé splendide dans un ciel sans nuages. Des banderoles aux trois couleurs nationales décoraient toutes les maisons. Le drapeau de 1848 flottait de nouveau sur cette cité où le général Haynau l’avait noyé dans le sang. Une foule joyeuse et parée remplissait les rues, se dirigeant vers les quais du Danube : c’était là que devait passer le cortège royal. Dans cette foule, on distinguait sans peine des hommes et des femmes appartenant à ces races diverses qui vivent ici côte à côte sans se mêler depuis mille ans, tous reconnaissables à leur costume et aux traits de leur visage, — les Magyars, vêtus comme des hussards, l’œil brillant, la démarche assurée et l’air conquérant, — les Valaques avec leurs longs cheveux, leurs yeux veloutés, doux et