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les armes à la main. Il était d’une beauté accomplie, grand, robuste, d’une adresse et d’une bravoure merveilleuses, aguerri par les plus dures épreuves, animé du plus violent ressentiment contre les oppresseurs de sa patrie. De 1666 à 1682, il tint la campagne, et finit par rejeter les Autrichiens hors de la Hongrie, puis, allié aux Turcs, il s’avança jusqu’à Vienne lors du fameux siège auquel la victoire de Sobieski mit fin. Les Turcs complètement battus et refoulés au sud du Danube, Tököli se vit peu à peu abandonné des siens, et alla mourir en exil. Sa femme Hélène, célèbre aussi par sa beauté et son courage, fille de Zrinyi et. veuve de Rákóczy Ier, tint longtemps encore dans son château-fort de Munkács, qu’elle ne rendit qu’après une capitulation honorable. Tous ces héroïques personnages semblent vous transporter en pleine épopée.

La Hongrie, vaincue, fut de nouveau livrée aux bourreaux, excités et dirigés par le général Caraffa, un Napolitain, et par deux jésuites, le père Peritzhof et le père Kellio. C’était le moment où en France Louis XIV commençait les dragonnades. Un épisode de cette période de réaction sanglante laissa une impression profonde. À Éperies, Caraffa. avait fait élever un vaste échafaud où l’on pouvait torturer et exécuter plusieurs victimes à la fois. De février jusqu’à la fin d’octobre 1687, chaque jour plusieurs malheureux périrent dans les supplices. C’est ce que l’on a appelé le théâtre d’Eperies. La terreur fut si grande que la diète de 1687 accorda l’indigénat à l’ordre des jésuites, et qu’elle renonça au fameux droit d’insurrection accordé par la charte d’André II.

Le découragement ne dura pas longtemps. Dès 1701, la Hongrie était encore soulevée. Elle mit à sa tête François Rákóczy, fils de cette Hélène Zrinyi qui était maintenant veuve de Tököli. La bravoure, la vigueur, le patriotisme de sa mère et de tous ses ancêtres revivaient dans ce jeune homme, qui pendant son exil à Paris avait étudié la tactique militaire auprès du maréchal de Villars. Élu voïvode de Transylvanie, il réunit une puissante armée qu’il conduit jusque sous les murs de Vienne. Il fait proclamer par la diète la déchéance des Habsbourg ; mais Joseph Ier, qui avait succédé à Léopold, ayant promis de rétablir la Hongrie dans tous ses droits et de respecter la liberté de conscience, la paix de Szathmár fut conclue en 1711. Rákóczy refusa d’accepter l’amnistie, perdit ses immenses propriétés et se réfugia en France, où il rendit populaires le costume et le nom hongrois. On lui attribue la musique de la fameuse marche si longtemps proscrite, la Marseillaise hongroise, qui réveille toujours au cœur du Magyar l’amour des combats et de la liberté.

Depuis cette époque, la constitution hongroise fut respectée. Dans son impatience du progrès, Joseph II voulut l’abolir, supprimer