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nationale, que vient le salut. George Rákóczy pénètre en Hongrie à la tête de 20,000 hommes, et arrache à l’empereur, serré de près par les Suédois, la paix de Linz en 1645. Léopold Ier, élevé par le jésuite Eberhard Neidhard, voulut en finir avec les incessantes rébellions de la Hongrie, et il se promit d’y établir le pouvoir absolu et l’unité de la foi[1]. Ses armées, sous Montecuculli, dirigées contre les Turcs, occupent la Hongrie ; qui, ravagée tour à tour par les Ottomans et par les impériaux, se transformait en désert. Le désespoir et le désir de recouvrer l’indépendance s’emparèrent de tous les cœurs. Une vaste conspiration se prépara ; les magnats les plus illustres et les plus puissans en faisaient partie, le palatin Vesselenyi, Zrinyi, Frangepan, François Rákóczy, Tököli. Elle fut découverte, et ceux dont on put s’emparer furent mis à mort. Profitant du moment où la Hongrie se trouvait privée de ses chefs naturels, Léopold déclara dans la diète de 1671 qu’il la « possédait par droit de conquête, » et « en vertu de sa puissance absolue » il décréta une contribution pour nourrir ses soldats. Il s’efforça aussi d’extirper le protestantisme, qui nourrissait l’esprit d’indépendance des Magyars. Des bandes armées, accompagnées de missionnaires, parcoururent tout le pays. Ceux qui refusaient de rentrer dans le giron de l’église étaient jetés en prison, ou périssaient dans des supplices si horribles que la plume se refuse à les retracer. Aux tortures inventées par l’inquisition et appliquées précédemment par le duc d’Albe aux Pays-Bas, on en ajouta d’autres empruntées aux Turcs. Quand on était fatigué de brûler, on empalait.

En présence de tant d’atrocités, la Hongrie se souleva de nouveau. D’abord des bandes de partisans se forment dans les comitats protestans du nord. Bientôt elles se constituent en armée régulière qui bat les impériaux après qu’un jeune héros de vingt et un ans, Émeric Tököli, est venu se mettre à leur tête. Quand la conspiration de Frangepan fut découverte, le jeune Émeric, déguisé en servante polonaise, se sauva du château où son père venait de mourir

  1. On attribue souvent à Léopold ce mot atroce : faciam Hungariam captivam, postea mendicam, deinde catholicam. C’est le cardinal-archevêque de Gran, Kolanitz, qui l’a prononcé dans une réunion de grands dignitaires hongrois tenue au Burg, a Vienne, où ils devaient proclamer solennellement que la Hongrie renonçait à ses privilèges, reconnus anarchiques et incompatibles avec un bon gouvernement. Tous les Hongrois, même le palatin Esterhazy, avaient été séduits par les promesses de la cour et par l’éloquence des révérends pères Gabriel et Palm. Le succès semblait assuré ; mais Széchenyi, archevêque de Kalocza, osa résister au nom des droits héréditaires de son pays. Le sentiment national se réveilla soudain jusque chez ces magnats gagnés d’avance. Nul n’osa répondre aux patriotiques paroles de Széchenyi, et le complot si habilement ourdi échoua. Cet exemple montre une fois de plus que chez les Magyars l’amour de la patrie l’emporte même sur les calculs de l’ambition ou de la cupidité. (Voyez Histoire des révolutions de la Hongrie, par l’abbé Brenner, La Haye, 1739.)