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et, aidé du moine franciscain Capistran, il leur reprit même Belgrade. Mathias, son fils, surnommé Corvinus, parce que la famille Hunyadi portait un corbeau dans ses armes, fut élu roi après la mort de Ladislas, qui avait voulu le faire périr. De 1457 à 1490, le règne de Mathias fut pour la Hongrie une dernière période de force et de splendeur qui rappela les beaux jours des rois angevins[1]. Après lui vinrent le faible Wladislas, roi de Bohême, puis son fils Louis, vaincu et tué dans la funeste bataille de Mohacs, qui ouvrit la Hongrie aux Turcs, et dont la date, 29 août 1526, est encore pour tout bon Hongrois un jour de deuil national. Deux archevêques, cinq évêques, cinq cents magnats et trente mille soldats succombèrent.

C’est après ce désastre que Ferdinand d’Autriche fut investi de la couronne de saint Étienne, qui ne devait plus sortir de sa famille. Il avait épousé Anne, la sœur du roi Louis. Marie d’Autriche, veuve de ce roi et sœur de Ferdinand, employa toute son influence pour faire élire celui-ci. Il fut élu en effet dans une diète réunie à Presbourg ; une autre diète assemblée à Stuhlweissenbourg nomma Zapolya voïvode de Transylvanie. C’était une sage inspiration d’appeler les Habsbourg sur le trône de Hongrie, et, s’ils s’étaient dévoués à leur mission comme les Corvin et les Anjou, ils auraient sauvé ce beau pays de la domination musulmane. Malheureusement, absorbés par les poursuites de leur ambition en Allemagne et champions de l’église romaine, ils employèrent les forces dont ils disposaient pour infliger aux fiers Magyars le despotisme et l’orthodoxie catholique. Entre les Hongrois, jaloux de leur indépendance, et les princes autrichiens, élevés par les jésuites et ne voyant de gouvernement que là où régnait l’unité de la foi et du commandement, c’est-à-dire l’ordre comme dans un couvent ou une caserne, la lutte était inévitable. Pour défendre leurs droits violés, les Hongrois allèrent jusqu’à s’allier à leurs ennemis séculaires, les Turcs. On leur en a fait un reproche, c’est à tort. Cela prouve seulement que la domination des Autrichiens était plus dure que celle des Ottomans. Ceux-ci en effet se contentaient de leur imposer un tribut. Les Autrichiens ou plutôt les Italiens ultramontains, qui représentaient l’empereur, attaquaient leurs libertés, surtout la plus précieuse de toutes, la liberté de conscience. Or il est honorable pour un peuple de tenir plus à ses croyances qu’à ses biens.

Pendant un siècle, la Hongrie offre le plus affligeant spectacle. Elle est ravagée tour à tour par les Allemands et par les Turcs. À chaque nouvelle tentative pour imposer de force le catholicisme et

  1. Le peuple même se souvient encore qu’avec Mathias ont fini les temps heureux de la Hongrie. Un proverbe souvent répété dit : Meghalt Mátyás király, oda van az igasság ; « le roi Mathias mort, la justice a disparu. »