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extérieurs. Les princes angevins comprirent admirablement que, pour développer les richesses de ce magnifique territoire, il fallait favoriser le commerce, l’industrie, l’émancipation des classes laborieuses et la diffusion des lumières. Ils améliorèrent le système monétaire, établirent des marchés libres, accordèrent des privilèges aux marchands. Ils affranchirent les paysans qui s’étaient distingués sur le champ de bataille, les enrôlèrent avec les nobles sous le drapeau des banderi, et reconnurent à tous le droit de s’établir où ils voulaient. Ils bornèrent aux affaires ecclésiastiques l’intervention des papes, qui prétendaient exercer les prérogatives de la suzeraineté sur le royaume de saint Étienne. Partout surgirent comme par enchantement des villes florissantes, gouvernées librement par des magistrats élus. Le commerce des ports de l’Adriatique avec l’Orient prit une grande extension. Louis confirma toutes les libertés inscrites dans la Bulle d’or d’André II, et y ajouta vingt-cinq articles nouveaux. Il réforma les lois civiles et pénales, fit régner l’ordre, mit un terme aux guerres féodales des nobles entre eux. À Grosswardein et dans d’autres villes, des écoles supérieures furent fondées ; une académie fleurit à Funfkirchen. Le château de Vicegrad, où les rois angevins s’étaient fixés, était renommé dans toute l’Europe pour la richesse de sa bibliothèque d’anciens manuscrits, pour la beauté de ses jardins, de ses terrasses, de ses jets d’eau, de ses statues de bronze. La population augmentait rapidement, les besoins de la civilisation naissaient, et l’industrie ou le commerce parvenait à les satisfaire. Le bien-être, la richesse même, se répandaient ; la culture des lettres et des arts faisait de la Hongrie le siège de la première renaissance. Aucun état contemporain n’était aussi étendu, aussi peuplé, aussi redoutable. Voilà l’époque de grandeur et de gloire dont le souvenir ne s’efface pas de l’esprit des Hongrois, et qu’ils voudraient ressusciter aujourd’hui. Ce sont ces réminiscences qui entretiennent leur orgueil et nourrissent leurs vastes ambitions.

Louis Ier, justement surnommé le grand, étant mort sans enfant mâle, sa fille Marie, proclamée reine, apporta la couronne de saint Étienne aux mains de l’empereur Sigismond, prince faible qui, absorbé par les affaires de l’Allemagne, négligea complètement celles de la Hongrie. Plus tard, l’élection de l’archiduc Albert d’Autriche fut l’origine d’une suite de guerres civiles et de dissensions intérieures dont les Vénitiens et les Turcs profitèrent, les uns pour s’emparer de la Dalmatie, les autres pour envahir les provinces situées au sud du Danube. Les deux Hunyadi, par une série d’exploits qui rappellent l’épopée, parvinrent à arrêter pendant quelque temps les progrès des Ottomans. Jean Hunyadi, d’abord ban de Serbie, puis voïvode de Transylvanie, proclamé gouverneur du royaume pendant la minorité du roi Ladislas, fit reculer les Turcs,