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comme Széchenyi, pour encourager les travaux utiles qui doivent enrichir la patrie. Singulier composé, ils tiennent à la fois des Anglais et des Orientaux, des derniers sans doute par l’influence de la race, des premiers par celle des institutions. « Nation fière et généreuse, a dit très bien Voltaire, l’appui de ses souverains et le fléau de ses tyrans ! »

Dans leurs luttes de partis, ils observent une discipline qui étonne chez un peuple aussi ardent. Tous ceux d’une opinion s’imprègnent des mêmes idées, parlent de la même façon[1] et marchent dans le même sens. Il en résulte une force immense qu’on ne peut ni assez louer quand elle est consacrée à la défense d’une juste cause, ni assez redouter quand elle est mise au service d’une idée fausse. De même que l’unanimité de la résistance à l’arbitraire a sauvé la Hongrie, de même l’unanimité des efforts pour assujettir les autres races l’a exposée et l’expose encore aux plus sérieux périls.

Le Hongrois a horreur du travail, dit-on. J’ai entendu répéter la même accusation contre bien des peuples, et néanmoins j’ai toujours vu que l’homme était laborieux dès qu’il était assuré de recueillir le fruit de ses sueurs. En Hongrie, la corvée, la dîme, les charges féodales et surtout la manière de cultiver le sol devaient nécessairement produire des habitudes de nonchalance et d’oisiveté. Nul ne songeait à amasser des richesses par l’épargne, parce que chacun dans sa position vivait joyeusement au milieu de l’abondance de toutes choses, sans se préoccuper du lendemain et sans viser à s’élever dans l’échelle sociale. La poursuite de l’argent, la chasse au dollar, qui enfièvre l’Américain, ce type par excellence de l’homme moderne, était inconnue aux bords du Danube et de la Theiss, où L’on continuait à mener l’existence insouciante de l’ancien temps. Tout cela change déjà : le chemin de fer aura bientôt converti le magnat en homme d’affaires et le pâtre de l’Alfôld en ouvrier européen.

En somme, les Hongrois sont une fière race[2] au physique et au moral, belle, vigoureuse, bien nourrie de graisse et de bon froment, buvant du vin sans en abuser, vivant sous un climat extrême,

  1. C’est ce que remarque entre autres un voyageur anglais, Judicieux observateur, M. Charles Boner, auteur d’un livre très bien fait, Transylvania, que nous aurons plus d’une fois encore à citer.
  2. J’ai toujours été frappé de l’air de fierté et de noblesse des Magyars de toutes les conditions. Ils se sentent faits pour le commandement. Les paysans mêmes, quand ils embrassent la main de leur seigneur, suivant l’ancienne coutume féodale, le font sans bassesse et avec une certaine grâce cavalière. Les maîtres d’école n’ont pas cet air humble, fatigué, ce visage pâli, cette démarche incertaine, qui les caractérisent ailleurs. Avec leur barbe noire, leurs yeux brillans, leurs redingotes à brandebourgs, leurs pantalons collans et leurs bottes hautes, ils ont un aspect martial qui impose. On dirait des hussards prêts à se remettre en selle.