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II.

Il est nécessaire d’avoir à la fois sous les yeux le Moniteur du temps, les dépêches du duc de Bassano et de M. de Caulaincourt, les mémoires imprimés et manuscrits des contemporains, et surtout, pour se guider à travers un pareil dédale, le fil conducteur de son inappréciable correspondance, si l’on veut se faire une idée encore bien incomplète de la prodigieuse activité déployée par l’empereur à ce moment de sa carrière. Il semble s’être comme à dessein multiplié pour mener à la fois avec une inconcevable intensité les existences les plus diverses, il faudrait peut-être dire les plus opposées. Le départ de Joséphine des Tuileries avait pendant les premiers jours jeté une teinte de tristesse sur toute la cour : on avait cru voir se répandre une sorte de mélancolie sur la physionomie de Napoléon ; mais cela n’avait guère duré, car tout le monde s’était vite donné le mot pour tâcher de distraire le maître de la France, et ses sœurs s’en étaient particulièrement chargées. La maison de la princesse Pauline ne lui laissait pas, en ce genre de besoin, le temps même de désirer, et l’on parla beaucoup à cette époque de l’emploi de quelques soirées où rien ne fut négligé pour l’entourer des distractions les plus capables de lui faire prendre son parti de l’isolement qui lui pesait. Chose singulière, au milieu des soins que sa famille et tant de femmes séduisantes voulaient bien prendre pour lui en faire perdre le souvenir, l’empereur n’oubliait pas entièrement Joséphine. Il lui écrivait à la Malmaison, où elle vivait tristement reléguée, des lettres où régnait, avec un véritable accent de tendresse, ce ton de commandement absolu et, pour ainsi dire, de consigne militaire qu’involontairement il transportait partout. « Si tu m’es attachée, si tu m’aimes, lui mandait-il dans le premier billet qu’elle reçut de lui après leur séparation, tu dois te comporter avec force, et te placer (sic) heureuse… Dors bien ; songe que je le veux[1]. » Les témoignages d’affection qu’il faisait parvenir à l’épouse abandonnée ne l’empêchaient pas toutefois d’être fort préoccupé des agrémens qu’il espérait bien rencontrer chez celle qui allait lui arriver de la capitale de l’Autriche. Napoléon s’était fait envoyer beaucoup de portraits de Marie-Louise. Il questionnait curieusement sur son compte les étrangers qui l’avaient vue à la cour de son père, l’empereur François. M. de Laborde avait été naturellement envoyé l’un des premiers à Vienne pour porter à la future

  1. L’empereur Napoléon à l’impératrice Joséphine à la Malmaison. Trianon, 17 décembre 1809. (Date présumée.)