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seraient ailleurs, toutes soient portées à rester unies et à défendre avec dévouement un état qui leur prête de la force sans rien enlever à leur indépendance. C’est de cette façon que s’est constituée en Suisse, par l’union de trois groupes d’hommes parlant l’allemand, le français et l’italien, une fédération à laquelle le patriotisme de tous ses habitans donne une force de cohésion et de résistance extraordinaire.

Dans le premier cas, les élémens de la nation qu’il s’agit de fonder sont, pour ainsi dire, broyés d’abord pour être jetés ensuite dans le même moule ; dans le second, ils sont conservés, fortifiés, afin que de leur union volontaire se forme un faisceau d’autant plus solide que chacun des associés est plus puissant et plus satisfait. Le premier procédé a toujours été employé par les monarques absolus, le second est le seul qui convienne aux peuples libres ; mais jusqu’à présent ni l’un ni l’autre n’a réussi en Autriche. Quand le pouvoir central a voulu autrefois fusionner les différentes races de l’empire, il a échoué, parce qu’au lieu du progrès il leur apportait un régime plus dur, plus intolérant, plus despotique, plus ruineux et moins glorieux que celui des anciennes institutions provinciales. Lorsque récemment il a voulu essayer d’un autre système en rattachant les différens groupes de populations par le lien peu serré d’une fédération qui aurait laissé à chaque race la liberté de se gouverner elle-même, il a encore échoué, parce que la plus puissante de ces nationalités, la Hongrie, n’a pas voulu accepter l’union fédérale. C’est ainsi, nous l’avons vu, qu’on a été réduit à subir une organisation politique très imparfaite appelée dualisme, et à prendre parmi les différentes formes que le dualisme peut offrir la plus incommode, la moins maniable, la plus exposée aux difficultés et aux conflits, c’est-à-dire à choisir la plus imparfaite des solutions, et à établir ce mauvais mécanisme de la pire façon.

Tous les autres peuples de l’empire et même la plupart des étrangers qui se sont occupés des affaires autrichiennes ont vivement reproché aux Hongrois leur résistance obstinée, qui a mené à un résultat dont personne n’est satisfait, pas même ceux qui l’ont imposé. Il est possible que les Hongrois aient eu tort de repousser la constitution libérale que leur offrait M. de Schmerling. Ils auraient probablement mieux fait encore de se rallier au fédéralisme que proposait le ministère Belcredi. En tout cas, il paraît certain, et nous essaierons de le prouver, que le plus pressant intérêt de la Hongrie est de s’unir aux autres parties de l’Autriche par un lien plus intime que celui qui existe maintenant. Il n’en est pas moins vrai cependant que c’est à l’indomptable opposition des Hongrois que les autres races de l’empire autrichien, les Allemands comme les Slaves, doivent la liberté dont ils jouissent