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démontre en traits saisissans que l’empire romain, même au sein d’une grandeur longtemps croissante et malgré l’apparence de quelque temps d’arrêt, ne fut dès le premier jour, faute de vie morale, qu’une époque de décadence progressive vers une chute complète et misérable, tandis que le christianisme, dont Gibbon déplore le triomphe, était pour le vieux monde romain « la source d’eau vive sur le sol desséché, » la résurrection de la vie morale, de la vie nécessaire, en même temps qu’il en était l’aurore pour « ce jeune monde barbare venant à son tour conquérir ses conquérans. »

Parmi d’autres notices biographiques qui, bien que de date plus récente, n’ont pas emprunté non plus l’hospitalité de la Revue, nous ne pouvons passer sous silence celle qui, à notre avis, l’emporte sur toutes les autres par l’exquise sobriété de la touche et par la finesse du trait. Nous parlons du portrait de Mme la princesse de Lieven, hommage digne de la personne, empreint de son esprit même, vif, naturel, sincère, sans pompe, sans emphase, simple et profond comme un vrai souvenir.

Cette publication n’ajoute rien sans doute aux titres de l’auteur, à l’éclat d’une illustration qui ne saurait s’accroître : elle confirme seulement par un nouvel exemple la variété féconde de ce puissant esprit, et démontre une fois de plus cette vérité déjà vieille, qu’il n’y a de grands, de vrais peintres de portraits que les peintres d’histoire.


L. VITET.



Alexandre Vinet d’après ses poésies, étude, par M. E. Rambert; 1 vol. in-18. Meyrueis, 1868.


Le nom d’Alexandre Vinet éveille des souvenirs si respectables, que nous n’avons pu nous défendre d’une sorte de recueillement en ouvrant ce volume. À ce recueillement, il faut le dire, se mêlait aussi beaucoup de curiosité. On connaissait bien de Vinet quelques cantiques répandus çà et là; mais quelle serait la valeur de ces poésies inédites que M. Rambert livre à la publicité? Allions-nous nous trouver en face d’un vrai poète? Ces vers jetteraient-ils au moins sur Vinet quelque lumière inattendue? Hélas! dès les premières pages, il ne nous est resté qu’une impression de désappointement; cette publication posthume vaut ce que valent d’ordinaire les publications posthumes. M. Rambert a cédé à une faiblesse malheureusement commune à notre époque, faiblesse qui consiste à réunir après la mort d’un écrivain tous les fragmens inachevés, tous les essais, toutes les notes, que cet écrivain même jugeait indignes d’être mis au jour; c’est ainsi que, sous le prétexte de découverte littéraire ou d’analyse psychologique, on publie chaque année quantité de lambeaux perdus des gens célèbres, bons tout au plus à réjouir les collectionneurs d’autographes. Il faut pourtant le reconnaître, M. Rambert a apporté dans son travail une piété qui désarme presque la critique;