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les faits; il a écouté les plaintes des Israélites qui lui ont été présentés. Quant à M. Bratiano, il a été de son côté l’objet de manifestations passionnées qui ne ressemblaient nullement à de l’enthousiasme. Il paraît que, pour ces braves habitans de la Moldavie, le ministre de l’intérieur n’avait pas assez fait; il avait eu tort surtout de déplacer M. Lecca, homme fort populaire à Bakou, et il n’a eu que le temps de se sauver. Voilà devant quelles passions le gouvernement s’arrête. D’un autre côté, l’Europe a désormais les yeux ouverts. M. Bratiano n’a qu’une ressource, c’est d’appeler à son secours la Russie, qui s’est tenue soigneusement à l’écart de toutes les démarches récentes des agens européens. La Russie lui donnera peut-être l’indépendance complète de la Roumanie, à laquelle il aspire; en revanche, elle ne lui demandera que de se laisser protéger par elle !

Ce serait pourtant singulier qu’à côté de la Roumanie se livrant à d’odieuses persécutions religieuses, l’empire turc lui-même en vînt à tenter un effort énergique de réformation intérieure. Le voyage que l’empereur Abdul-Aziz a fait l’an dernier à Paris pour visiter l’exposition paraît avoir porté ses fruits ; c’est particulièrement depuis le retour du sultan que le cabinet turc s’est mis avec une apparence de bonne volonté plus active à réaliser des réformes que l’Europe a bien souvent demandées en vain, et qu’on unissait par croire impossibles, tant l’apathie turque reculait jusqu’ici devant les difficultés de cette œuvre. Une de ces réformes est la création d’un conseil d’état à la tête duquel a été placé un homme d’intelligence; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce conseil d’état vient d’être inauguré ni plus ni moins qu’une assemblée politique de l’Occident par le sultan lui-même prononçant un discours tout comme un souverain constitutionnel. Garantir l’indépendance des différens cultes, assurer la liberté et les droits de tous les sujets, fonder l’égalité entre les races de l’empire, développer la prospérité publique en protégeant le travail et l’industrie, consacrer la séparation des pouvoirs exécutif, judiciaire et religieux, voilà en vérité un programme qui suffit pour faire toute une révolution en Turquie. Si la moitié seulement s’accomplit, ce sera encore un immense progrès, et, de toutes les solutions de la question d’Orient, celle-là sera certes là plus inattendue, si parfaitement inattendue qu’elle peut trouver plus d’un sceptique. ch. de mazade.