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vote n’est que la sentence du juge : le véritable verdict que ce débat prépare et que cette sentence applique est prononcé par l’opinion publique, jury suprême en pareille matière. Aussi, loin d’être concentrée dans l’enceinte du parlement, la question est-elle soumise à tous les procédés possibles d’enquête et d’examen. Les journaux la discutent, l’analysent, la retournent sous toutes ses faces avec la plus entière liberté, avec passion et même avec violence. Partout les citoyens se réunissent pour exprimer leurs opinions ou parler au nom de leurs intérêts : les synodes catholiques traitent des sujets politiques; dans les meetings populaires de la capitale et des provinces, on s’applaudit, on s’embrasse ou l’on s’accable de sifflets sans que le gouvernement s’en mêle pour prendre la responsabilité d’une défense ou d’une autorisation. C’est cette opinion mûrement formée que tous les pouvoirs de l’état ont à cœur d’Interpréter en conduisant les affaires publiques. Et lorsqu’ils ne sont pas d’accord entre eux, c’est devant elle qu’ils s’Inclinent, c’est d’elle qu’ils acceptent une décision finale en faveur de celui qui l’a le mieux comprise. SI M. Gladstone réussit à faire passer la loi dont ses résolutions ne sont que le prologue, c’est à l’appui du sentiment public qu’il le devra, car sans sa confirmation l’avis émis par la chambre des communes resterait une lettre morte.

Plus les progrès de nos sociétés étendent le cercle de la vie publique, plus s’accroît le nombre de ceux qui en jouissent et doivent en accepter les devoirs, plus il faut aussi que l’opinion publique puisse agir comme pondérateur, et plus elle a besoin de se développer au grand air de la liberté. Il lui appartient aujourd’hui de prendre le rôle qu’elle a trop souvent laissé à la postérité, de ne plus permettre les appels à ce juge invisible et irresponsable, qui sont si humilians pour une nation libérale. Pourquoi la postérité jugerait-elle mieux que les contemporains, sinon parce qu’elle est mieux instruite? Que ceux-ci soient donc éclairés par tous les moyens possibles sur ce qui après tout les touche Infiniment plus que leurs descendans, et ils devanceront le jugement de la postérité, ce qui est pour une nation la première condition de grandeur et de liberté.


XAVIER RAYMOND.