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sans nous laisser entraîner au cœur de toutes les grandes questions qui agitent l’Irlande, nous pouvons, pour terminer cette étude, indiquer en quelques mots ceux qui se recommandent par des côtés vraiment pratiques.

Les uns voudraient employer cette somme à augmenter les établissemens d’instruction publique et particulièrement d’instruction supérieure, qui sont peu nombreux, insuffisans ou exclusifs. Le clergé irlandais, dont une partie considérable est hostile aux écoles mixtes fondées par le gouvernement sous le nom d’écoles nationales, réclame en faveur des pauvres les biens d’église qu’il refuse pour lui-même. « En attribuant la propriété ecclésiastique de l’Irlande à l’usage des pauvres, dit le concile de l’année dernière, le législateur lui rendrait l’une des destinations qu’elle avait reçues dans les temps catholiques. » — « Sans décharger les propriétaires de la taxe des pauvres ni le gouvernement des frais de l’instruction publique, dit l’archevêque Manning, on pourrait employer les sommes disponibles en partie à des œuvres de piété et de charité, en partie à des secours donnés aux pauvres en leur assurant un intérêt dans la propriété foncière. » Par ces mots, nous touchons de nouveau à la question de propriété, que l’on retrouve à chaque pas lorsqu’on s’occupe de l’Irlande, et sur laquelle les organes du clergé catholique se rencontrent avec les réformateurs radicaux de l’Angleterre. Ceux-ci, sans s’associer aux conclusions de M. Stuart Mill, qui propose d’exproprier en masse, pour cause d’utilité publique, tous les grands propriétaires de l’Irlande, voudraient profiter de l’occasion offerte par la sécularisation des biens de l’église pour améliorer la situation des fermiers. On y contribuerait d’abord en vendant tous ces biens-fonds par petits lots et en répartissant le paiement sur une longue série d’annuités. On continuerait ainsi dans des conditions bien plus favorables l’œuvre si utile entreprise par l’encumbered estates court, puisque ce tribunal, obligé de vendre au plus haut prix possible, ne saurait adopter le système des annuités. Avec l’argent ainsi obtenu, on pourrait venir en aide aux fermiers, et en le leur avançant simplement à un taux modéré on réparerait déjà un peu ce mal qui épuise l’Irlande, le manque complet de capital d’exploitation. Cependant hâtons-nous d’ajouter que ces remèdes ne seront efficaces que le jour où une législation complète viendra modifier les lois et coutumes qui régissent les fermages et corriger les déplorables abus qui en découlent. En effet, la misère et les souffrances des paysans irlandais qui prennent ces fermes si justement appelées racks-rents[1] proviennent moins

  1. Rack, torture.