Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pareille destination. Ils les considèrent comme la propriété collective de la nation irlandaise, et veulent l’employer, soit à subvenir, s’il y a lieu, à ses besoins religieux, soit à des services publics également utiles pour tous, après avoir prélevé ce qui est nécessaire pour indemniser largement les intérêts particuliers qui auraient été lésés. Le règlement de cette compensation est le point le plus difficile d’une telle mesure. D’une part il faut qu’elle soit assez complète pour être équitable et définitive; de l’autre ceux qui la proposent sont obligés, pour n’en pas compromettre le succès, de ménager bien des intérêts particuliers dont l’influence accumulée pourrait la faire échouer. Ces dernières considérations ont eu un poids peut-être bien grand dans l’esprit de M. Gladstone lorsqu’il a affirmé que les trois cinquièmes du capital représentant les biens et revenus de l’église d’Irlande resteraient entre ses mains sous une forme ou sous une autre; mais il se peut que la portée de cette assertion soit beaucoup atténuée par les explications qu’il aura à donner le jour où ses résolutions devront prendre forme de loi[1], et que son système n’implique qu’une aliénation temporaire des rentes et impôts appartenant aujourd’hui à l’église officielle. Indiquons seulement l’alternative qui se présentera au parlement lorsqu’il s’agira d’opérer le disendowment. Le fera-t-on graduellement ou d’une manière uniforme et générale? Laissera-t-on chaque ministre jouir, sa vie durant, des revenus de sa cure ou d’une rente équivalente, pour supprimer cette rente après lui et laisser son successeur vivre de contributions volontaires? Ce système, équitable envers le ministre, ne le serait pas vis-à-vis de son troupeau, les habitans de telle paroisse devant ainsi être immédiatement appelés à faire tous les frais de leur culte, tandis que tels de leurs voisins seraient

  1. Voici son calcul : 162,500,000 francs comme indemnité aux titulaires actuels de bénéfices ecclésiastiques; 12,500,000 francs aux laïques attachés à l’église, organistes et employés dotés de petits fonds; 12,500,000 francs pour rembourser les advowsons achetés par des ministres de l’église. Enfin, sans s’y engager absolument, il admet que le culte anglican conservera les églises et presbytères qu’il possède actuellement, dont la valeur, estimée à 62,500,000 francs, porte à 250 millions, ou plus des trois cinquièmes de la dotation totale, ce qui resterait entre les mains de l’église anglicane reconstituée. Mais nous croyons que ce calcul s’explique d’une manière qui atténue ce qu’il a de choquant au premier abord. Il faut diviser les 250 millions en deux parts. L’une, comprenant les deux derniers articles, les advowsons et les églises, valant ensemble 75 millions, serait dans tous les cas un capital laissé ou remboursé intégralement à l’église anglicane. Les deux premiers articles, estimés à 175 millions, sont d’une autre nature; ils n’expriment que le capital fictif, calculé d’après les tables de rentes viagères, représentant ce que l’état aurait à payer annuellement à titre de compensation aux ministres dépossédés de leurs revenus; mais en réalité le capital ne serait pas aliéné, l’état en conserverait la nue propriété, et par l’extinction graduelle des usufruitiers il rentrerait peu à peu dans la jouissance intégrale des revenus ecclésiastiques.