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portion même de l’état, et que cette taxe, beaucoup plus odieuse au cultivateur irlandais qu’elle ne l’était au paysan français avant la révolution, sera, malgré tous les déguisemens, un obstacle à la pacification définitive de l’Irlande, les fermiers l’accusant toujours de leur misère et les propriétaires la rendant responsable de tous leurs embarras. Aussi nous semble-t-il que l’abolition pure et simple de la dîme devrait, en bonne justice comme en bonne politique, être la conséquence nécessaire de la suppression de l’église officielle; mais les hommes d’état, dont l’opinion fera loi sans doute en pareille matière, se placent à un autre point de vue. Ils veulent voir dans la dîme une sorte de rente perpétuelle due par la terre, et dont la propriété, immuable et inattaquable, est tout à fait indépendante des droits du possesseur du sol. — Assimilant cette propriété aux rentes ordinaires et aux biens-fonds que possède l’église établie, ils en considèrent l’ensemble comme une dotation nationale, dotation aujourd’hui détournée de son véritable objet au profit exclusif d’une secte, mais qu’au lieu d’anéantir pour la restituer aux contribuables ils proposent d’appliquer d’une manière plus équitable et plus avantageuse à toute la population. Cette nouvelle répartition sera pour le législateur une tâche délicate. Il devra d’abord régler l’indemnité due à l’ancienne église établie pour faciliter la transformation qui lui est imposée.

Quoique cette question n’ait pas été traitée à fond, quelques chiffres cités dans le courant de la discussion sont curieux à titre de renseignement pour l’avenir. M. Gladstone estime à 325 millions tous les revenus capitalisés que possède l’église d’Irlande, à 15 millions la valeur des outstanding perpetuities qui n’ont pas encore été rachetées par les locataires de biens épiscopaux, enfin à 62 millions et demi celle des églises et presbytères, portant ainsi la dotation totale de l’église établie à 402,500,000 francs. Sans prévoir dans les détails l’emploi qui en sera fait, on peut dès à présent juger l’esprit qui y présidera, et montrer combien cette mesure différera des sécularisations totales ou partielles que presque toutes les nations européennes ont opérées à une époque plus ou moins récente de leur histoire. En effet, quel que fût le motif premier ou l’occasion de ces mesures, que la sécularisation ait été faite au milieu d’une révolution religieuse comme en Angleterre et en Allemagne, d’une révolution sociale comme en France, d’une révolution politique comme en Italie, ou d’une guerre civile comme en Espagne, on y a toujours cherché en fin de compte un expédient financier, et l’on en a ainsi altéré le caractère et compromis pour un temps les meilleurs résultats. Ni M. Gladstone ni aucun des adversaires de l’église établie ne songe à donner à ses biens une