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les chambres. « De pareilles idées sont des épouvantails en temps de paix, mais à d’autres momens elles sont chassées comme la poussière par le vent, parce qu’elles ne laissent d’autre alternative qu’une révolution. » Dès le second jour du débat, M. Bright y avait apporté le poids de sa puissante parole, de cette parole qui s’imposait à une chambre frémissante, mais attentive, quand, presque seul, il luttait, il y a quelques années, contre les partisans des esclavagistes américains. Cette fois il parlait dans le sens de la majorité et avec d’autant plus d’ascendant que, pour la rencontrer, il n’avait pas eu à quitter le terrain sur lequel il avait déjà combattu. Tout aussi logique dans le fond, mais moins absolu dans la forme que lorsqu’il était stimulé par le nombre de ses contradicteurs, il montre d’un côté la réconciliation des deux îles voisines comme l’un des principaux titres que notre siècle puisse acquérir aux yeux de la postérité, et de l’autre l’intérêt qu’il y a pour l’église d’Angleterre elle-même, dont il n’est pas membre, à ne pas faire cause commune avec l’institution politique qui porte en Irlande le nom d’église établie. M. Cardwell, ancien secrétaire du gouvernement irlandais, avec une parole facile et persuasive, M. Osborne, député du midi de l’Irlande, avec son esprit incisif, M. Goschen et bien d’autres encore, tous attaquent avec une égale vivacité cette institution qu’ils appellent avec à-propos la garnison politique de l’Irlande. Ils lai demandent d’évacuer, lorsqu’elle peut encore le faire avec les honneurs de la guerre, une citadelle que l’Angleterre a résolu de raser, tandis que les députés catholiques, avec beaucoup de mesure, leur laissent la parole, jugeant qu’en pareille matière celle de protestans aura plus d’autorité que la leur.

Si à nos yeux tous les argumens décisifs sont d’un seul côté, il n’en est pas de même du talent des orateurs. Ceux qui siègent sur le côté ministériel ne manquent ni d’éloquence ni d’esprit de repartie; mais plus ils s’animent, plus la discussion même fait ressortir la divergence de leurs opinions. Lord Cranbourne se place au premier rang de ceux qui crient à la garnison de ne pas capituler, et, dans un discours fait pour inspirer même à ses adversaires le regret de n’avoir plus à l’entendre[1], il s’attache à réfuter autant les paroles prudentes de lord Stanley sur l’église d’Irlande que les attaques directes de M. Gladstone. Le premier avait combattu moins le fond que l’opportunité des résolutions présentées par le second. Il avait affirmé que ces résolutions demeureraient stériles, il avait allégué la nécessité d’attendre le rapport d’une commission nommée l’année dernière pour examiner la répartition des revenus de l’église d’Irlande; mais il avait paru perdre de vue cette circon-

  1. La mort de son pure, lord Salisbury, vient de l’appeler à la chambre des pairs.