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cielle, exprimait les sentimens de ces hommes politiques qui sont conservateurs par tradition, mais envisagent bien des questions à un point de vue tout nouveau pour leur parti. Au contraire la fraction de ce parti qui demeure fidèle à tous ses anciens articles de foi repoussait carrément les propositions de M. Gladstone au nom de l’union indissoluble du trône et de l’autel, et, en demandant la lecture solennelle des actes qui l’ont consacrée pour l’Irlande, elle voulait inspirer au parlement un salutaire respect pour cette arche d’alliance sur laquelle le chef du parti libéral, déjà au seuil du tabernacle, allait porter une main sacrilège. Sous son inspiration, les pétitions contre les trois résolutions affluèrent en nombre extraordinaire sur le bureau de la chambre. Quelques-unes peuvent être citées comme des spécimens uniques dans leur genre. Ainsi celle que le lord-maire de Londres avait rédigée se déroulait sur une longueur de 222 pieds de parchemin couvert de signatures depuis le haut jusqu’en bas. Ajoutons cependant, pour réduire cette démonstration à sa juste valeur, que la pétition fut présentée par un député étranger à la Cité, la capitale n’envoyant depuis nombre d’années à la chambre que des libéraux éprouvés.

Nous n’avons pas à revenir sur les argumens employés par M. Gladstone et ses amis. Ils les ont presque tous puisés, chacun selon son talent et le tour particulier de son esprit, dans les faits passés et présens que nous avons exposés plus haut. Leur unanimité à soutenir le nouveau chef du parti libéral a été d’autant plus remarquable que ce parti semblait désorganisé depuis longtemps par les divisions qui avaient éclaté dans son sein, il y a deux ans, à propos de la réforme électorale. Cette fois les plus récalcitrans ont été maintenus dans les rangs par la pression de leurs collèges, pression d’autant plus forte aujourd’hui que la dissolution est prochaine et que l’influence des nouveaux corps électoraux se fait déjà sentir en faveur des idées radicales. Ainsi l’on a vu M. Rœbuck, tenant dans chaque main une pétition, l’une pour l’abolition et l’autre pour le maintien de l’église établie, épuiser sa verve contre les Irlandais, chercher à prouver l’inanité de leurs griefs et conclure en donnant sa voix à M. Gladstone. A ceux qui allèguent le caractère perpétuel et inviolable de l’acte d’union, qui invoquent les formules du serment royal, un légiste du plus grand mérite, M. Coleridge, oppose l’élasticité de la constitution britannique, qui ne connaît pas de lois immuables et n’a jamais cessé de se modifier. M. Lowe va plus loin encore, et dans un langage éloquent s’élève contre la dangereuse théorie de ceux qui croient qu’une génération a le droit de lier l’avenir de la génération suivante, et que le souverain saurait renoncer d’avance par un acte quelconque au pouvoir constitutionnel de sanctionner n’importe quelle loi votée par