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n’est un bien qu’avec l’incertitude et le hasard de la mort. Le présent de Salomon tombe des mains du jeune Azariah entre celles de l’esclave. philosophie de la folle jeunesse! Il convenait, pensait-il, qu’une misérable esclave, qui n’est rien, survécût à Salomon et aux princes du peuple, qui sont toujours quelque chose tant qu’ils vivent. Il se plaisait à voir par la pensée celle que tous avaient méprisée s’asseyant avec les arrière-neveux sur la tombe des rois et des grands ! Enfin l’esclave égyptienne, placée au plus bas degré de l’échelle des hommes, porte la pomme au roi, dont la vie lui parait enfermer tout honneur et toute grandeur. Ainsi le rare présent passe de main en main, descend et remonte; ainsi ni la jeunesse, ni l’amour, ni l’honneur, ne font de la vie un bien solide, et les jeunes comme les vieux, les esclaves comme les reines, confirment le jugement du roi Salomon sur la vie humaine.

L’autre échantillon de ce que nous croyons le talent propre de M. Robert Lytton est d’un intérêt vraiment dramatique. Il y a plus que de l’émotion, il y a une terreur communicative dans le Rabbin Ben-Ephraïm. Sans trop d’efforts, le poète nous transporte à Cordoue et à six ou sept siècles en arrière. C’est le temps où la cupidité conspirait contre les juifs avec le fanatisme, et allumait des bûchers en travaillant au double dessein de remplir ses coffres et de faire le salut des nations. Deux malheureuses juives, après avoir traîné dans l’exil une existence abjecte, la fille en faisant marchandise de sa jeunesse, la mère en vivant de ce hideux commerce, reviennent à Cordoue, leur premier séjour et leur patrie, quand la cruauté des bourreaux s’est fatiguée à brûler des hommes. Tombées dans l’abîme le plus profond de la misère, lorsqu’il n’y a plus pour elles aucune espérance, aucun moyen de remonter le précipice et de reparaître à la lumière et à la vie, elles ont recours à une dernière ressource, celle qu’en mourant leur avait fait connaître le vieux rabbin, le père et l’époux qu’elles avaient suivi en Orient. Avant de tourner sa face contre le mur pour rendre l’âme sans avoir sous les yeux une telle mère et une telle fille, Ben-Éphraïm leur avait dit comment en une cachette pratiquée au cimetière des juifs de Cordoue elles pourraient trouver les immenses richesses qu’avant sa fuite il avait confiées à la terre des morts. Une nuit donc, munies d’une misérable chandelle qu’elles ont ramassée, précieuse trouvaille, en je ne sais quelles immondices, après l’avoir disputée aux rats nocturnes, elles se mettent en quête du trésor. La cachette une fois découverte, elles sont bien près d’atteindre à leur but; mais qui descendra dans le funèbre caveau? Les chrétiens disent que les démons y habitent, qu’ils y reviennent au moins toutes les nuits tourmenter les morts qui n’ont pas voulu se sou-