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la terre, tout alors est joie, ardeur, ravissement, surprise. La vie est douce pour la jeunesse, qui ne sait pas ce qu’est la vie.

Et le jeune homme? La vie est un bien, mais avec le bonheur, quand l’homme va où il veut, fait ce qu’il veut, vit comme il veut, quand il rassasie son désir et ne rencontre aucun obstacle. Qu’importe l’amour d’une reine, si vous payez votre orgueil avec votre liberté ? Plus douces sont les roses semées où il lui plaît par le vent que celles qui sont gardées par des dragons dans les palais des rois. Vivons de l’heure qui s’écoule, rendue plus douce par cela même qu’elle s’écoule. Si la rose fleurissait toujours, qui voudrait se soucier de la rose? Hâtons-nous et cueillons la fleur tandis qu’il est temps. La fête de la vie s’accommode du parfum de la mort. A moi le peut-être! qu’ai-je à faire du certain? A moi la coupe bien remplie ce soir! — Et demain?... Qu’importe?

Et la reine, la Sulamite honorée de l’amour d’un roi? La vie est un bien, mais non toute seule; de même la jeunesse, de même la beauté, autant de biens qui ne peuvent servir qu’avec l’amour. Vivre, être jeune, être belle, à quoi bon, si l’on est jeune, si l’on est belle sans être plus sûre d’être aimée que celles qui n’ont aucun de ces biens? Que me fait la vie, si mon bien-aimé ne m’aime pas? Suis-je belle, si je ne le suis pas pour mon bien-aimé?

Que dit enfin la femme esclave, la courtisane égyptienne? La vie n’est rien sans l’honneur, et on la dédaigne quand on ne se soucie de rien de ce qu’elle peut donner. Malheureux jouet me déplaisant à moi-même, je méprise les hommes, et j’en suis méprisée. Chassée du nombre des femmes qui peuvent être épouses et mères, la vie est pour moi sans but. Qu’est-ce qu’une vie dont je ne suis pas maîtresse, non plus que de ma jeunesse et de ma beauté, ayant horreur du grand nombre de ceux qui m’aiment, faisant horreur au petit nombre de ceux que je pourrais aimer? Qu’est-ce qu’une vie que j’achète en vendant pour de l’argent un amour que l’argent ne saurait payer?

Cette analyse suffira, je crois, pour deviner le prix de cette pièce remarquable. Voici la fable dans laquelle sont distribuées ces pensées. — Salomon reçoit d’un personnage mystérieux une pomme cueillie à l’arbre de science dans le jardin d’Éden. A celui qui le mangera, ce fruit divin communiquera l’immortalité. Le roi, fatigué de la vie, est trop sage pour en vouloir rendre la durée éternelle; comme la vie n’est un bien qu’avec la jeunesse et la beauté, il porte la pomme à la Sulamite. A qui la donnera la royale favorite? Puisque la vie n’est un bien qu’avec l’amour, celle-ci en fait présent au prince Azariah, qu’elle aime en secret. Azariah est jeune, libre, aimé; que manquerait-il au bonheur d’Azariah? Mais la vie